Ce dont il nous faut débattre, ici et maintenant, dépasse les seules professions de foi. Et davantage les envolées lyriques. La situation révolutionnaire a engendré des normes nouvelles. Voire la norme, inédite. Le président de la République déchu a fui. Un cas de figure qui n'est guère prévu par la Constitution. Les lois sont par essence impersonnelles et générales. Elles ne sauraient être conçues à l'aune de l'exception. Davantage s'il s'agit d'une chef d'Etat qui prend la clé des champs comme un voleur qui rase les murs à la nuit tombante. Les bonnes vieilles ficelles des exégètes nous éclairent amplement là-dessus. Pour saisir la portée réelle d'un texte de loi, il faut remonter à l'intention du législateur. Et celle-ci se trouve généralement consignée dans l'exposé des motifs du projet de loi approprié. On peut à défaut la déceler dans les débats et échanges à l'Assemblée. Dans le cas de l'espèce, la vacance à la tête de l'Etat n'est prévue que dans trois cas : mort du chef de l'Etat, démission ou perte de la faculté de discernement. La fuite n'a pas voix au chapitre. Pourtant, la félonie de Ben Ali relève bien du sauve-qui-peut. Conséquence, une situation à bien des égards anachronique. On se retrouve maintenant, en vertu de l'article 57 de la Constitution, avec un président par intérim qui devrait, avant un mois, veiller à l'organisation de l'élection présidentielle. Comme l'a souligné M. Rafaâ Ben Achour, professeur de droit, lors de la récente conférence sur "Les questions juridiques et institutionnelles à la lumière de la révolution", cette situation est problématique. Elle a déjà enfanté de multiples lectures et interprétations constitutionnelles. Les divergences ont dépassé le cas de l'espèce pour s'inscrire dans le vif d'approches doctrinales. Et la doctrine proprement dite n'est guère abstractive pure. Elle consacre l'état des choses. En d'autres termes, la primauté de fait de la légalité révolutionnaire par rapport à la légalité constitutionnelle. D'une manière ou d'une autre, on est bien obligé de souscrire à ladite primauté. Dès lors, prôner une Assemblée nationale constituante en vue d'élaborer une nouvelle Constitution est envisageable. Salutaire même. Pour M. Ben Achour et nombre de juristes et constitutionnalistes, notre actuelle Constitution (du 1er juin 1959), n'est guère adaptée à l'élan révolutionnaire de la Tunisie au lendemain du 14 janvier 2011. On comprend la signification réelle des voix appelant à l'édification d'un nouveau régime constitutionnel accoucheur de la "deuxième République". Toute la problématique est là. Que ferons-nous sous peu ? Entamerons-nous et de sitôt la présidentielle ? Quelles significations revêtirait alors l'organisation de l'élection présidentielle avant les élections législatives ? Ne serait-ce pas une manière d'avancer de travers ou à reculons et de mettre la charrue avant les bœufs ? Dans certains cas de figure, les ingrédients du drame politico-constitutionnel sommeillent. Et menacent de devenir paralysants. Dans son discours du 5 Nivôse an II, Robespierre avait dit : "La Révolution est la guerre de la liberté contre ses ennemis. La Constitution est le régime de la liberté victorieuse et paisible". Nous ne saurions en dire autant. Parce que, précisément, l'enchevêtrement des lectures et interprétations constitutionnelles laisse l'intervalle ouvert à de nombreuses pistes et combinaisons. C'est dire si l'équation constitutionnelle regorge de chiffres difficiles. Pour l'heure, la Commission supérieure de réforme politique ne semble guère chômer. Ses membres affichent une ferme volonté d'avancer tout en privilégiant des issues, procédures et modalités consensuelles. On verra bien la qualité de l'édifice proposé. Dans tous les cas de figure, on jugera sa pertinence en regard de sa praticabilité. S.B.F.