Par Sami ABDENNADER* «Allah est avec nous, quel bonheur, quel bonheur, le jour de réjouissance est arrivé et le monde nous a félicités». Les paroles chantées de notre poète Mohamed Jamoussi, écrites il y a plus d'un demi-siècle, pourraient parfaitement s'appliquer à notre glorieuse révolution. Cette révolution ouvre une nouvelle page de notre histoire. Initiée par les jeunes et orchestrée en grande partie par les réseaux Internet puis suivie par tout le peuple, elle a eu comme primum movens l'immolation par le feu du martyre Mohamed Bouazizi le 17 décembre 2010. Le scénario de cette révolution repose sur de nombreux éléments: 1 — Le régime dictatorial de Ben Ali pendant plus d'un quart de siècle et ses corollaires: l'anéantissement de toutes les libertés, la torture et l'injustice. 2 — Le développement nauséeux des clans mafieux qui ont vidé le pays de sa «substantifique moelle économique». 3 — La répression brutale des manifestants par une police forcée de tirer à bout portant, y compris sur des cortèges funèbres. La mémoire de ces dizaines de martyrs et de centaines de blessés doit être honorée au même titre que celles et ceux tombé(e)s pendant la lutte pour l'indépendance. 4 — L'extension de la contestation aux grandes villes après Sidi Bouzid et Kasserine grâce à l'appui de la société civile et de l'Ugtt. 5 — L'apogée fut la journée historique du 14 janvier 2011. Notre armée républicaine et proche du peuple a joué un rôle essentiel dans le succès de notre révolution. Un mois après la révolution et alors que le climat social n'est pas encore au beau fixe certaines questions méritent d'être posées : 1 — Notre gouvernement provisoire reflète-t-il réellement les aspirations du peuple qui s'est révolté ? 2 — Ceux qui ont pris provisoirement notre destinée en main, ont-ils tous les «mains propres» ? 3 — Dans quelle mesure notre future Constitution sur laquelle «planchent» nos éminents juristes ne trahira-t-elle aucune frange de notre société et sera-t-elle réellement équitable ? 4 — Comment concilier une démocratie encore balbutiante et le rétablissement d'un ordre social sans tomber dans les travers répressifs de la dictature déchue ? 5 — Est-ce que les candidats au poste suprême, les valeureux Ben Jaâfar, Chebbi, etc… vont-ils réellement privilégier l'intérêt national par rapport aux ambitions personnelles ? 6 — Comment juguler rapidement le chômage, remettre en route l'économie alors que le pays est exsangue, appauvri par la dérive mafieuse et fragilisé par la crise mondiale (et surtout européenne) et les mauvaises orientations économiques ? La situation actuelle risque d'être aggravée par les mauvais scores attendus dans le secteur du tourisme qui contribue à hauteur de 8% au produit intérieur brut (PIB). A contrario, l'assainissement rapide de notre économie et l'éradication souhaitable de toute corruption devraient permettre l'afflux vers la Tunisie des capitaux d'investisseurs dont les projets économiques devraient être réellement porteurs en matière de création d'emplois. Nous espérons ne plus avoir à subir ces images révoltantes, relayées par les médias internationaux, de nos concitoyens quittant de manière clandestine la Tunisie pour rejoindre l'Europe par voie maritime. Ces images viennent quelque peu flétrir les sentiments de fierté et de dignité insufflés par la révolution de notre peuple. C'est dire que la création urgente d'emplois est une priorité nationale. Les nouvelles orientations économiques du pays devraient tenir compte de‑: – L'encouragement des projets réellement porteurs en matière de création d'emplois. – La diversification de nos partenaires économiques, notre relation privilégiée avec l'Union européenne ayant des avantages, mais aussi des inconvénients. – La modernisation de nos projets dans le secteur tertiaire et dans l'industrie à un moment où la robotisation prend de plus en plus de l'importance. – Enfin, le développement de la recherche dans tous les domaines. Des orientations économiques judicieuses et urgentes, la mise en place dans un délai raisonnable d'élections libres visant à instituer un Etat de droit, le jugement des responsables de la répression mortelle et de la dérive mafieuse, la fin de la torture, l'indépendance de la justice vis-à-vis de l'Etat, l'officialisation de tous les partis dont les statuts excluent le recours à la force, une juste redistribution des richesses sont autant d'éléments permettant le retour au calme et à la paix sociale. Comme l'écrit Amin Allal dans Le Monde diplomatique (Fév. 2011) : «La place que prendront ces centaines de milliers de mobilisés dans la construction politique, le renouvellement des figures et pratiques politiques détermineront l'avenir de la révolution». Après l'Egypte, espérons qu'elle sera un exemple et une référence pour tous les peuples opprimés en Afrique et dans le monde musulman. * Docteur en médecine-Paris