A l'instar de tout un peuple, le onze tunisien a entamé un travail psychologique sur lui-même. Et ça lui réussit plutôt bien… Dans quelques jours, avec la reprise de la compétition footballistique, réapparaîtront sur nos lucarnes les mêmes techniciens en mal de reconnaissance (et parfois même de connaissances) pour nous infuser leur science. Tout y passera : la technique et la tactique, le pivot et les excentrés, le soutien et la couverture et bien sûr la fameuse récupération, formule magique censée révolutionner le football et trouver des solutions définitives à toutes les équations que le terrain peut proposer. Apprentis sorciers qui ont fait de notre sport roi un jeu incolore, inodore et de nos joueurs des robots tout en imitation, vulgaires copies de ce qu'on voit sur les terrains espagnols, anglais ou italiens. Il faut dire qu'avec les diplômes qu'on leur distribue et offre si généreusement depuis des années (et qui ne sont pas reconnus en Europe), ils n'apprennent pas à être des éducateurs et des psychologues et ne peuvent de ce fait transformer nos joueurs en hommes, des vrais. Soit des athlètes et des têtes qui pensent. Les dégâts sont du reste visibles très tôt chez les jeunes qu'on gronde au premier dribble, qu'on réprimande pour une passe ratée ou qu'on culpabilise pour un but raté, alors que tout le monde sait que ce ne sont pas là les choses les plus importantes dans l'apprentissage d'un jeune footballeur. Libres et libérés ! Le parallèle est parfaitement valable pour d'autres secteurs, dont principalement l'éducation, où on soumet nos enfants à un véritable bourrage de crânes, avec des horaires aussi lourds que les cartables roulants qu'ils traînent ou qu'ils portent sur le dos et des programmes qui sont une insulte à l'intelligence, quand ce n'est pas un outrage à l'histoire (celle moderne tunisienne évidemment dont on attend la réécriture). Quel rapport avec le sport, le Chan et même le peuple tunisien ? Tout simplement parce qu'avec la révolution qui a brisé les chaînes, délié les langues et abattu les tabous, le footballeur et l'homme dans notre pays ont entamé depuis un certain 14 janvier 2011 une véritable thérapie de groupe qui devrait aboutir à la naissance du Tunisien nouveau. Sans complexes et avec une bonne dose d'humour bien de chez nous, on exorcise nos peurs, notre lâcheté (du moins concernant ceux que vous savez), notre égoïsme et nous réapprenons à vivre et à parler ensemble. Au Soudan, notre football que nous considérions comme «cliniquement mort» est sorti de son coma et quitté la salle de réanimation pour réclamer son droit à la reconnaissance et à la vie. Nous avons revu, heureux et incrédules, des joueurs unis qui ne se regardent pas comme des chiens de faïence, qui mouillent le maillot et qui ne parlent pas que de… primes. Nous avions entendu gronder, au coup de sifflet du dernier penalty, la clameur d'une foule qui scandait le nom des joueurs, toutes couleurs confondues, qui poussaient l'hymne national à en avoir la chair de poule et qui, bien sûr, ne boudait pas son plaisir de crier mort à tous ceux qui voulaient faire de tout un pays un immense asile psychiatrique. Oui, la révolution comme la thérapie de groupe sont en pleine marche. Nous ne reculerons pas sur la première et nous avancerons dans l'autre avec le courage et la patience nécessaires. Le groupe parti à la conquête du Soudan et du Chan n'est ni plus talentueux, ni plus patriote que d'autres; il est tout simplement libre et libéré. Et s'il devait nous offrir une ultime satisfaction, il nous aiderait (et s'aiderait) drôlement dans la rapidité et la réussite de la thérapie!