Le but de cet article est d'apporter un éclairage et un point de vue personnel sur la révolution qu'est en train de vivre le peuple tunisien. Ces derniers temps, plusieurs analyses ont été apportées par d'éminents spécialistes tunisiens et autres sur les derniers événements vécus dans notre cher pays. Certains ont opéré une lecture sociologique, politique, économique, historique, psychologique… de la situation afin de tenter d'expliquer ce qui s'est passé depuis deux mois et ce qui continue de se passer. Toutes ces explications et analyses sont, la plupart du temps, d'une grande pertinence. Nous apporterons quant à nous quelques réflexions qui pourraient participer tant à analyser qu'à anticiper l'avenir.Etant donné mon profil professionnel, c'est en images et en métaphores que je m'exprimerai. • Image 1 : de l'âge de l'enfance à l'âge adulte‑: processus de maturation de notre société D'un point de vue métaphorique, il nous est permis de comparer le processus de maturation d'une société, comme de l'humanité d'ailleurs, à celui d'un être humain. Ce dernier passe inévitablement de la tendre enfance à l'adolescence, puis à l'âge adulte… Il est clair qu'à chaque tranche d'âge correspondent des jeux spécifiques, des comportements, des attitudes individuelles, familiales et collectives, une éducation, une pédagogie. Tant les découvertes scientifiques que technologiques (dont Facebook, Internet…), les chartes internationales des droits de l'Homme, de l'enfant, mais aussi les lois tunisiennes, marquent l'avènement du nouvel âge de l'humanité et bien évidemment de la Tunisie aussi. Mais il semblerait que dans certaines régions, notamment dans les pays arabes, les gouvernants n'ont pas vu grandir leur peuple, n'ont pas voulu entendre leurs revendications de liberté et de démocratie, n'ont pas voulu comprendre que l'âge de la tutelle et des jeux de l'enfance était révolu. A cet âge d'entrée dans la maturité correspondent inéluctablement des réformes appropriées. Dans ce sens, les revendications relèvent d'une prise de conscience par le peuple tunisien de sa propre maturité. En effet, ce dont il s'agit c'est d'un ras-le-bol contre un paternalisme abusif, qui prétend maintenir dans l'enfance un peuple qui se sent, qui se sait adulte et qui réclame d'être traité d'égal à égal par l'autorité, qui réclame d'être consulté, de décider de son avenir et de prendre en main sa destinée, d'opérer des choix dans le respect des droits et des devoirs. Le peuple revendique-t-il, — il l'a montré durant la révolution —, des valeurs morales et spirituelles telles que justice, liberté, égalité des chances, honnêteté des décideurs, confiance, paix, générosité, solidarité… En conséquence, le temps de la réforme morale et spirituelle pointe. • Image 2 : balance : justice contre injustice Il est bien évidemment impossible que tous les Tunisiens, comme toutes les régions du pays, soient identiques. En effet, les richesses et potentialités du Nord comme du Sud, de l'Est comme l'Ouest ne sont pas identiques. Toutefois, les affaires du pays doivent être conduites selon le principe de la justice. La justice n'est pas limitée‑: c'est une qualité universelle. Elle s'applique à tous les niveaux de la société, comme à tous les niveaux du pays, aucune région ne doit être abandonnée ou laissée pour compte. Dans ce sens, la justice devrait être considérée comme sacrée. Nul dans ce cas, ne doit la bafouer et se sentir au-dessus de la loi. Hélas‑! Parmi les expressions de l'injustice que nous vivons dans notre pays sont les grands écarts entre riches et pauvres, entre régions côtières et intérieures du pays. Cela n'est plus admissible‑! Comme il n'est plus permis aujourd'hui de maintenir des extrêmes de richesse et de pauvreté tant au niveau des régions du pays comme des classes sociales. Individus, familles, gouvernorats, régions, doivent se sentir comme un seul corps (1+1…=1). Si l'un des membres de ce corps est affligé (pauvreté dans une région, injustice à l'égard de l'un, misère de l'autre…) tous les autres membres du corps humain doivent inéluctablement souffrir. Pourtant, de nos jours, les relations entre les membres de notre société comme entre les éléments de l'humanité manquent terriblement d'harmonie, de compassion, d'unité, d'amour et de partage (culture de la compétition oblige). Au sein de notre pays, les caractères dominants (il y en a d'autres bienheureusement) sont plutôt indifférence, égoïsme, irrespect, dénigrement mutuel, médisance, débrouillardise sallakha… Nous devons faire table rase de tout cela‑! Même s'il est vrai que les piliers de la justice sont la récompense et le châtiment, ces derniers ne peuvent nullement servir et suffire s'il n'y a pas de remise en cause individuelle et collective et de prise de conscience de tous les membres de cette même famille tunisienne (comme celle humaine) pour se changer, se transformer, voire se révolter. Car la vraie révolte est une affaire de conscience individuelle et collective ou elle ne l'est pas. Parmi les actions concrètes que nous proposons‑: • Inclure et intégrer les salariés comme actionnaires de la société où ils travaillent et dans les conseils d'administration. • Impliquer le personnel des sociétés dans l'autogouvernance. • Mettre en place un principe d'autogouvernance des diverses régions tunisiennes. Les impliquer dans la prise de décisions qui relèvent de leurs stratégies sociales, économiques, culturelles. • «Construire la capacité» pour une politique de décentralisation cruciale afin d'éradiquer la pauvreté. Le concept de «capacity building» doit être au centre d'une stratégie d'autogouvernance des régions de la Tunisie, où les gouvernorats, les municipalités, la population… prennent démocratiquement en charge leur destin, leurs ressources humaines et naturelles, ainsi que leur processus de développement. Ces lignes ont été écrites afin que ce qui s'est passé en Tunisie soit une réelle révolution qui affectera structurellement tant les valeurs, la culture, l'économie, que la prise de décision dans notre pays, le menant vers une prospérité évidente. Autrement ce que nous avons vécu sera tout simplement une révolte qui n'aura nullement affecté les structures profondes de notre population. M.B.M. (Architecte, universitaire)