La disparition de la police politique et de ses outils de censure, comme l'ATI, coincide avec cette Journée mondiale qui honore chaque année les militants pour la liberté d'expression sur le Net. Aujourd'hui, un internaute sur trois dans le monde n'a pas accès à un Internet libre. Une soixantaine de régimes censurent le réseau. La Journée mondiale contre la cyber-censure rend hommage aux internautes qui cherchent une expression libre via les réseaux et appuie leur combat pour un Internet libre. Parmi ces régimes anti-Net, celui de Ben Ali a fait de la Tunisie l'un des cinq pays les plus répressifs au monde en matière d'Internet. Pendant dix ans, la cyber-censure en Tunisie n'avait rien à envier à la censure chinoise ou iranienne. Comme son état ultra policier, la cyber-censure en Tunisie a pourtant été ignorée de l'Occident et ses cyber-dissidents n'ont quasiment jamais été écoutés ou soutenus. Depuis 2000, ils étaient une poignée qui ont inventé ce que l'on appelle le cyber-activisme à travers leur lutte en ligne contre “Ammar”. Ben Ali qui se présentait comme le chantre de «l'Internet pour tous» a mis en place tout un système technologique qui a coûté les yeux de la tête pour un seul objectif : censurer les sites de l'opposition politique, les sites de défense des droits de l'homme, les sites d'informations dissidents, des centaines de blogs, les sites de partage de photos et de vidéos comme FlickR et YouTube, tout comme récemment les sites faisant référence à WikiLeaks. Des contradictions Ben Ali a très tôt démocratisé les TIC qui sont vite devenues une vitrine avec notamment un taux record de jeunes ingénieurs informatique. Mais l'Agence tunisienne d'internet (ATI) qui fonctionnait en collaboration avec la police politique avait, dès l'année 2000, imposé le très secret système de surveillance automatisée et de censure des contenus en ligne et des internautes, que ce soit à leur domicile, sur les ordinateurs d'accès public, ou dans les publitels (cyber-cafés), où il est obligatoire de présenter ses papiers d'identité avant de se connecter. Il se trouve que l'ATI a toujours été dirigée par des femmes: Khédija Ghariani, Feryel Beji et Lamia Chafaï Sghaïer. Les Tunisiens leur avaient trouvé un surnom : les «Ben Ali's Angels» Autre contradiction : le pays continue de développer les infrastructures de communications pour attirer des investisseurs étrangers. Il a même acquis une stature de leader des nouvelles technologies dans la région. La censure n'offre toutefois pas un contexte favorable aux affaires. Les entreprises et les ambassades, qui ne peuvent se contenter d'un accès à l'intranet tunisien, et ont besoin d'assurer la confidentialité de leurs communications, recourent à des connexions sécurisées via satellite. Zouhaier Yahyaoui, martyr de la liberté d'expression sur Internet Les autorités ont utilisé l'arsenal législatif dont elles disposent pour réduire les voix critiques en ligne au silence et les envoyer derrière les barreaux, comme elles l'ont fait avec le regretté Zouhaier Yahyaoui, premier martyr de la liberté d'expression sur Internet en Tunisie. Un hommage doit être rendu aujourd'hui au fondateur du site TUNeZINE, qui a milité pour la liberté d'expression sur Internet en Tunisie, avant de s'éteindre en 2005 à l'âge de 36 ans. Zouhaier, diplômé en gestion depuis 1995, et longtemps chômeur, était gérant d'un cybercafé à Ben Arous. Il crée le site TUNeZINE en juin 2001 où il diffuse, sous un ton satirique et sous le pseudonyme Ettounssi, des informations sur les atteintes aux droits de l'homme en Tunisie. Bien qu'immédiatement censuré, ce site rencontre un succès rapide et les informations dans le forum du site sur les agissements des familles Trabelsi et Ben Ali affluent de toutes parts. Après la publication d'une lettre ouverte écrite par le juge Mokhtar Yahyaoui sur l'indépendance de la magistrature, Zouhaier fut immédiatement arrêté et torturé. Il est condamné, en juin 2002, à 28 mois de prison, puis en appel, en juillet 2002, à 24 mois de prison ferme. Entre-temps, le site TUNeZINE continuait à fonctionner grâce à des cyberdissidents étrangers. En juin 2003, il s'était vu décerner à Paris le prix Cyber-liberté, récompensant «un internaute qui, par son activité professionnelle ou ses prises de position, a su témoigner de son attachement à la liberté de circulation de l'information sur le réseau». Il est remis en liberté conditionnelle le 18 novembre 2003 après avoir passé 17 mois de prison. Il sort avec une solide détermination de continuer son combat pour la liberté d'expression. Le 13 mars 2005, Zouhaier Yahyaoui décède d'une crise cardiaque (!). Là où il se trouve maintenant, Zouhaier doit être heureux de ce que les jeunes d'aujourd'hui ont réalisé grâce à Internet, ce que lui a commencé 15 ans auparavant.