Nul ne doute du rôle qu'ont joué les blogueurs et les facebookeurs tunisiens dans la chute du régime de Ben Ali. Plus encore, grâce aux réseaux sociaux (Twitter et Facebook) et les blogs, le cyber-militantisme et la cyber-dissidence, dont feu Zouhair Yahyaoui est le symbole, a contribué à créer de nouveaux mouvements sociaux sous nos cieux, comme l'a bien mentionné M. Mohamed Jouini (professeur universitaire), modérateur de la conférence qui s'est tenue hier matin au palais présidentiel de Carthage, dans le cadre de la première journée nationale de la liberté de la presse, autour de la bologosphère tunisienne. Plusieurs blogueurs tunisiens et férus d'internet étaient présents hier lors de la conférence organisée au palais présidentiel de Carthage juste après que le président Dr Moncef Marzouki eut décoré, à titre posthume, le cyberdissident Zouheir Yahyaoui alias « Ettounsi », blogueur et fondateur du site « TUNeZINE », des insignes de grand officier de l'Ordre de la République. La décoration a été remise à sa mère. Parmi les intervenants lors de cette conférence, on cite M. Jamel Zran, professeur à l'Ipsi (Institut de presse et des sciences de l'information) qui a effectué une recherche scientifique sur le mouvement des blogueurs tunisiens comme un nouveau mouvement social dont l'impact socioculturel et politique est très important dans la Tunisie de l'avant et après 14 janvier 2011 : «Les médias alternatifs (blogs, réseaux sociaux, etc.) que certains appellent médias marginalisés ont pris une importante place dans le paysage médiatique tunisien du moment où les médias du service public dits gouvernementaux ne jouaient pas leur rôle comme supports d'informations mais plutôt celui de propagande», a déclaré le professeur Zran. Il a ajouté : «Au cours de la recherche que j'ai menée autour de la bologosphère tunisienne, tous les blogueurs que j'ai rencontré m'ont affirmé que Zouhair Yahyaoui était leur source d'inspiration et leur idole... Certes la proclamation du 13 mars de chaque année comme journée nationale de la liberté de l'internet est une excellente initiative, mais il faut œuvrer pour que le droit à l'accès à internet soit mentionné dans la prochaine constitution tunisienne comme c'est le cas depuis 2009 dans les pays scandinaves». La blogueuse tunisienne victime de sexisme De son côté, Imen Laâmiri alias « Jolanare», professeur universitaire de français et membre fondateur de l'association des blogueurs tunisiens, a pointé du doigt le sexisme dont sont victimes les blogueuses tunisiennes. Elle a rappelé qu'en Tunisie, on dénombre plusieurs blogueuses dont les blogs traitent des thèmes différents : la femme et l'Islam de Olfa Youssef, la politique et la cyber-dissidence de Lina Ben Mhenni et Fatma Riahi alias Arabica (qui est la première blogueuse tunisienne arrêtée par la police politique de Ben Ali en 2009). Jolanare a beaucoup critiqué le caractère misogyne de la société tunisienne en se posant les questions suivantes : « La femme tunisienne a-t-elle le droit de blogger ? », et d'ajouter : « Certes, on salue l'initiative de proclamer le jour de sa mort comme la journée de la liberté d'internet, mais je suis révoltée du fait que les bourreaux et les assassins du premier martyr tunisien d'internet soient toujours en liberté et pas jugés ». Ammar 404 libre en toute impunité Pour ce qui est de l'ensemble des blogueurs tunisiens, la blogueuse Hana Trabelsi a été chargée par ses frères d'armes de prononcer un speech solennel en la mémoire de Zouhair Yahyaoui : « J'aurais aimé que le président provisoire soit parmi nous pour lui adresser ce discours. Tout d'abord que Dieu le Tout-Puissant puisse accorder toute sa miséricorde à notre cher frère Zouhair et tous les martyrs qui ont sacrifié leurs vies pour illuminer notre chemin vers une Tunisie plus belle... Certes, depuis le 13 mars 2005, date du décès de Zouhair, les internautes tunisiens ont pris l'habitude de commémorer sa mort sur les murs des lamentations de Facebook, mais Zouhair est resté gravé dans nos mémoires. Néanmoins, M. le Président, je suis très indignée contre tous ceux qui étaient derrière les tortures et les harcèlements exercés contre Zouhair et les autres et qui ont causé la mort de plusieurs martyrs depuis les événements du pain d'Erdeyef jusqu'à ceux de Sidi Bouzid. J'adresse mon indignation au gouvernement et à la société civile pour ne pas avoir jugé les tueurs de nos enfants.... Le blogging en Tunisie est un contre-pouvoir, et il représente aussi un acte d'opposition virtuelle. La blogosphère joue aussi le rôle d'un média alternatif et celui d'une culture alternative. Les blogueurs ont toujours joué un rôle de garde-fous qui supervise l'état sociopolitique du pays et qui a toujours critiqué les trois pouvoirs de la République ainsi que le quatrième pouvoir (les médias) en jouant le rôle de celui de l'opposition ». Elle renchérit : « Rappelons que les blogueurs tunisiens se sont insurgés contre la censure en organisant une manifestation intitulée (Nhar Ala Ammar) «Un jour noir pour Ammar », Ammar 404, ce personnage qui incarnait la censure... Je suis très triste du fait que cet Ammar 404 continue de vivre parmi nous en toute impunité et sans jugement... Enfin, tous ceux qui veulent rejoindre le mouvement des blogueurs tunisiens, on leur dit que les portes du blogging sont ouvertes pour tous et que le voyage est gratuit...