Par Salah HADJI Double préjudice, disions-nous, quand on ne retient que la date du 14 janvier comme date décisive. Mais double versant aussi, signe immédiat d'opposition entre deux genres de forces sociales et politiques, crête indiscernable où la vérité de la Révolution, entendu comme procès nécessairement continu, pouvait autant se dévoiler et éveiller davantage la vigilance qu'à être voilée par un retour au sommeil au gré d'un retour de manivelle. En fait, voici, plus profondément encore, le nom de la Révolution : non un ou deux noms, mais multiples concurremment, en raison de la pluralité des regards qui la reçoivent et des lignes qui, en elle, se tordent et se remordent, en se redressant en tropes, en grappes d'actions et de mots, d'échos et d'images contrastés. Là, on serait en peine de dire où en est celui qui regarde, lit ou écoute la révolution s'il n'appartenait pas, un tant soit peu, au temps et lieu de sa mouvance convulsive. C'est dire que la rencontre avec la Révolution sépare autant qu'elle réunit, délie les liens autant qu'elles les resserre. C'est assez dire pour sentir que l'effort de soi consenti par les myriades et des myriades de voix, faisant vibrer tant d'espaces publics, jour et nuit, pour accompagner les pas de la Révolution, ne pouvaient raisonnablement s'arrêter aux limites du 14 janvier 2011. En fait, cette «fin» s'est avérée une imposture, comme le reconnaît aujourd'hui tout le monde, à la faveur de l'annonce historique par le président de la République par intérim de l'élection d'une Assemblée constituante pour le 24 juillet, annonce suivie par le «discours» combien déterminé du nouveau Premier ministre. Voilà qui en dit long sur la bonne santé et les chances de longévité de cette grande œuvre du peuple tunisien qu'est sa Révolution historique. S'il en est ainsi, on observera, avec le plus grand intérêt, les dates et les événements qui ont marqué toute cette dernière période. La première date digne du plus haut intérêt est celle du 17 décembre 2010, jour de l'immolation par le feu de Mohamed Bouazizi qui, face à l'oppression la plus sordide, a opté résolument pour la dignité par un geste hautement symbolique qui l'a porté aux frontières extrêmes de la vie et de la mort. C'est un geste émis comme «signe historique», qui s'est traduit immédiatement en une mise en mouvement de tout un peuple dans l'«enthousiasme», l'union et la solidarité jusqu'à la date du 14 janvier (Cf. notre article : «La sublime humanité de Mohamed Bouazizi», La Presse du 27 janvier 2011). Est-venue ensuite toute la période des actions en sit-in, inaugurée, singulièrement, par une grande délégation de Sidi Bouzid, composée de personnes de tous les âges, suivi en cela par d'autres régions, toujours en direction de la place du Gouvernement à La Kasbah, avant d'être relayées, d'une façon continue, par tout un groupe de jeunes jusqu'à la chute du second gouvernement. Ces actions se sont conjuguées avec des manifestations dans les régions ainsi que dans les grandes artères de la capitale. En tout cela, il s'agissait de maintenir ouvertement une vivacité combative et une vigilance à toute épreuve… Autant de dates et d'événements donc qui ont marqué toute une période au cours de laquelle — et il faut bien le souligner — les proches fourbes de l'ancien régime et une certaine police politique n'avaient hésité devant aucun moyen musclé pour défigurer, saboter et mater le mouvement. Les scènes de vandalisme orchestrées, à cet effet, ne s'oublient pas. En enrôlant des hordes recrutées à travers les régions, en vue de piller et semer le désordre, les forces de l'ancien régime tenaient à faire peur, en brandissant ainsi le spectre du chaos, cherchant par là à jeter le discrédit sur la Révolution et saboter l'économie du pays et le moral du peuple. Avec la fin de cette période allant du 17 décembre 2010 au 3 mars 2011, en passant par le 14 janvier 2011 — date de la chute du tyran — et la chute du simulacre du second gouvernement le 27 février, le donjon de l'imposture est tombé. La suite, avec la date du 3 mars, quand fut annoncée, pour le 24 juillet 2011, l'élection d'une Assemblée constituante, fait que le rafistolage douteux cesse et que la confiance politique s'installe dans les cœurs. La Révolution aura vu ainsi son temps s'étendre jusqu'au 24 juillet 2011, et ses fonctions emprunter nécessairement d'autres formes d'actions et de pensées politiques : la future Assemblée constituante s'inscrivant, désormais, dans ce qui est de l'ordre du fondement.