Par Aboubaker MAGHRAOUI Contrairement aux grandes démocraties modernes durant leur naissance, la démocratie tunisienne n'est pas aujourd'hui une démocratie censitaire. Le droit de vote n'est pas un privilège fondé sur la propriété ou la fortune. Il est en effet important de se rappeler qu'en France par exemple, au lendemain des états généraux de 1789 ou même après la Constitution de 1791, le droit de vote n'était accordé qu'aux hommes âgés de plus de 30 ans et ayant payé le cens, impôt minimal dont les citoyens devaient s'acquitter pour avoir le droit de voter. Ce n'est qu'en 1848 que le suffrage censitaire est remplacé par le suffrage universel masculin limité lors de l'adoption de la Deuxième République. La situation tunisienne est quant à elle profondément différente. Le cens n'existe pas et le droit de vote est universel. Le véritable baromètre indicatif des élections du 24 juillet n'est donc pas celui des salons de la capitale ou des grandes métropoles. Le combat des élections démocratiques de demain se mène dès aujourd'hui auprès des jeunes, des travailleurs de condition modeste, des chômeurs, de nos concitoyens vivant dans les régions reculées de la Tunisie. Il est vrai que depuis le 14 janvier 2011, certaines composantes de la société civile renforcent leur action auprès des régions et des couches sociales marginalisées jusque là de la Tunisie, et cela comme je l'appelais de mes vœux dès mes premiers articles. Il s'agit notamment du cas de Byrsa, mouvement citoyen qui agit aujourd'hui tant auprès d'institutions internationales pour mobiliser des fonds qu'auprès des populations des régions intérieures du pays. Ces derniers ont récemment rapporté le témoignage de Fayçal, habitant à Tataouine qui disait : «Méfiez-vous de la démocratie des ventres vides, sinon votre démocratie on la vendra 5 dinars le 24 Juillet prochain». Cette affirmation suscitera sûrement beaucoup d'indignation, à tort ou à raison. La question mérite néanmoins d'être posée car comme l'affirmait Bismarck, en politique, il n'y a pas de sentiments. Ni d'états d'âme. La société tunisienne doit demeurer vigilante afin d'éviter une récupération politique de sa révolution. Beaucoup de médias déploraient durant les événements de Décembre 2010 et Janvier 2011 l'absence de leader politique encadrant et politisant les contestations de la rue. Ils avaient tort car nous disposions alors de bien plus que d'un leader : nous étions guidés par un symbole, une idée. Le geste de révolte de Mohammed Bouazizi, que Dieu lui accorde sa miséricorde, était devenu notre idéal. Mohammed Bouazizi ne s'est pas immolé pour se faire martyr de la religion. Son geste n'était ni idéologique ni dogmatique mais le cri le plus vivant d'appel de liberté. Son geste a lavé notre honneur et nous a redonné l'espoir d'une société libre, moderne et digne. Personne n'a le droit de récupérer son courage, ni celui de tous les autres martyrs tombés pour la démocratie. Nul n'a aujourd'hui le droit de voler notre révolution en la voilant de dogmatisme. Toutes les Tunisiennes et Tunisiens ont manifesté durant la révolution pour la dignité en se résignant à se nourrir de pain et d'eau pour voir aboutir un idéal démocratique. Voilà donc les deux souvenirs que tout citoyen doit avoir en tête le jour des élections. : celui de Mohammed Bouazizi, qui a donné sa vie pour la République tunisienne, pour la démocratie en Tunisie et la leçon de dignité offerte par les manifestants. Les Tunisiens ont désormais faim de démocratie et soif d'égalité et de justice. Personne n'a le droit de nous acheter nos voix. Nous sommes un peuple digne et le 24 Juillet sera un jour sacré. Il est de notre devoir moral à tous de faire de ce jour le jour de la victoire de la démocratie sur l'oppression, de l'égalité sur l'injustice, de la liberté sur la tyrannie et surtout de la modernité sur les pressions rétrogrades. Mohammed Bouazizi s'est sacrifié par le feu pour nous montrer la voie de la lutte contre la dictature. Rendons lui hommage par la lumière, celle des idéaux que nous défendrons le 24 juillet. Chaque vote comptera. Chaque Tunisienne et Tunisien est désormais responsable et libre de servir ou de trahir la mémoire et le geste de nos martyrs. Bourguiba a fait de la Tunisie un état moderne. Demain Bouazizi en fera un Etat libre et démocratique.