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Enthousiasme, puis désenchantement
L'Algérie et l'Islam vus par le penseur Jameleddine Ben Cheikh
Publié dans La Presse de Tunisie le 15 - 03 - 2011

Le penseur et académicien Jameleddine Ben Cheikh appartient à une grande famille de juristes d'origine andalouse. Né en 1930, à Casablanca (Maroc) où son père exerçait la magistrature depuis 1921, Jameleddine Ben Cheikh avait regagné Alger dès qu'il avait obtenu le bac, et ce, au début des années 50. Il y entreprit des études de lettres et de droit, mais la révolution pour la libération nationale ne tarda pas à éclater.
Les dirigeants du FLN (Front de libération nationale) sommèrent les étudiants algériens de couper leurs études et de rejoindre les maquis : «La patrie est plus sacrée que les diplômes!», lancèrent-ils. Mais le jeune Ben Cheikh refusa de se plier à l'ordre solennel et décida de poursuivre ses études au pays de «l'ennemi», c'est-à-dire en France : «Oui, j'ai refusé l'ordre du FLN sans aucune hésitation car je pensais que l'Algérie, une fois indépendante, aura plus besoin d'intellectuels que de soldats…».
Une rencontre… un effet
Avant de quitter Alger pour Paris, et alors que la guerre avait embrasé tout le territoire algérien, le jeune Ben Cheikh eut une rencontre fraternelle avec Albert Camus : «C'était en 1955… un ami poète français vint me dire que Camus était à Alger pour parler devant les étudiants français «pieds noirs». Il me proposa d'organiser une rencontre avec lui. Etant au courant des positions de Camus sur les évènements en Algérie, j'ai accepté la proposition avec une certaine réticence. C'était par un beau jour d'hiver… La rencontre eut lieu dans un petit café face à la mer… Camus me parut très tendu… J'ai parlé longuement et il m'a écouté avec beaucoup d'attention sans me couper la parole. Puis il éclata comme un volcan. Au début, il m'avait exprimé son désespoir, son amertume et son impuissance face aux évènements tragiques qui secouaient l'Algérie. Ensuite, il avait parlé de sa mère d'une manière très touchante ainsi que de son amour profond pour l'Algérie, de ses origines sociales… Il souhaitait une entente entre Algériens et Français. Le débat avait duré 3 heures, c'était un débat fraternel, sincère et franc…».
Etudiant à la Sorbonne, passionné de poésie et de philosophie, Ben Cheikh se plongea, dès son arrivée à Paris, dans la vie culturelle française. Tout en restant à l'écoute de ce qui se passait dans son pays, il fréquentait les cafés littéraires, établissait des liens et des contacts avec des écrivains, des poètes, des penseurs français : «L'Algérie était présente tout le temps dans mon cœur. Une fois le grand écrivain français François Mauriac avait écrit un excellent article dans la revue «L'Express». J'ai tout de suite demandé à le voir. Il m'a reçu dans son bureau. Nous avons parlé pendant deux heures. A la fin, il m'a tendu la main et il m'a dit : «Ecoutez, vous aurez votre indépendance… J'en suis sûr… Mais tâchez de la conserver, sinon votre pays subira des épreuves pires que celles d'aujourd'hui…»
En 1962, l'Algérie eut son indépendance, le jeune Ben Cheikh avait décidé de rentrer chez lui. Nommé professeur de lettres arabes à l'université d'Alger, il voyait l'avenir en rose : «J'étais plein d'espoir et d'enthousiasme… Le pays était ravagé par la guerre… Les blessures de la haine et de la violence étaient encore apparentes.
A l'université, les moyens, ainsi que les cadres manquaient, mais j'étais certain que tous les problèmes allaient être résolus en très peu de temps!»
Déceptions
Tout en enseignant à l'université, Ben Cheïkh écrivait l'éditorial de la Révolution africaine, revue politique hebdomadaire proche du FLN. Par un été de l'année 1963, une jeune fille de 17 ans se suicida en prenant une forte dose de DDT. La cause ? Sa famille l'avait contrainte à se marier avec un vieux riche de 65 ans. Dans l'éditorial, Ben Cheïkh s'attaqua avec véhémence aux vieilles traditions et demanda au gouvernement de réviser le code de la famille. Il fut vite rappelé à l'ordre par le président Ben Bella lui-même‑: «Le jour de la parution de l'article, un ministre, qui était aussi un ami, m'a téléphoné pour me dire que le président Ben Bella veut me parler… Je me suis plié aux consignes et je suis allé le voir. Dès que je me suis présenté, Ben Bella devint pâle, me regarda dans les yeux comme pour me faire peur et me lança séchement‑: “Vous n'allez pas me faire (…) avec les femmes!”. Puis il se détourna de moi comme pour me faire savoir que l'entretien était clos. Je suis resté cloué au sol. Pendant des semaines, je suis resté dépité et malade !».
Les déceptions se succédèrent et les rêves qui avaient enflammé le jeune Ben Cheïkh ont fini par s'évaporer. Puis le FLN avait mis la main sur les rouages du jeune Etat. Presse, radio, livres, télévision étaient soumis à une censure sévère. La chasse aux intellectuels prenait de l'ampleur de jour en jour. Aux hautes sphères du pouvoir s'installèrent les anciens chefs du maquis qui ignoraient les moindres principes de l'Etat. Bref, ce que les sociologues avaient appelé plus tard «le désenchantement national», avait déjà entamé la «nouvelle Algérie» avant que la révolution eût fêté sa cinquième année…
En 1965, Boumédienne renversa Ben Bella et s'installa au pouvoir. Le coup d'Etat avait affermi l'autorité des militaires, permettant aux anciens chefs de maquis de devenir maîtres réels du pays. Malgré son désespoir, Ben Cheïkh avait préféré patienter. C'était seulement en 1969 qu'il décida de quitter définitivement le pays‑: «La cause de cette subite décision était la suivante‑: j'avais proposé au conseil de l'université d'inclure Abu Nawas au programme».
L'émigration
Les professeurs réactionnaires se sont soulevés contre moi et le ministre de l'Education nationale m'avait convoqué‑: «Comment osez-vous enseigner aux enfants de l'Algérie la poésie d'un alcoolique débauché?!» me dit-il. «Alors j'ai plié bagages et j'ai quitté le pays…»
Depuis 1972, jusqu'à sa mort en 2007,Ben Cheïkh avait enseigné les lettres arabes à la Sorbonne. Parallèlement, il avait dirigé un laboratoire de recherche sur la littérature arabe médiévale. Il était aussi à l'origine d'une nouvelle traduction des Mille et une nuits, en collaboration avec l'orientaliste français André Miquel. Ben Cheikh avait publié aussi plusieurs recueils de poèmes, ainsi que des essais sur la culture arabo-musulmane.
«Poétique arabe» publié par «Gallimard» en 1972 puis en 1989 est l'un de ses ouvrages critiques les plus célèbres en France et dans les pays francophones. Dans cet ouvrage, Ben Cheikh avait surtout voulu montrer comment la poésie arabe s'était toujours présentée comme étant le conservatoire d'une culture et d'une histoire, et en même temps un monument élevé à la gloire d'une communauté, le champ d'exercice d'une conscience collective…
J'ai rencontré Ben Cheikh à Amsterdam au mois de mai 1995. Il était courtois et affable. En ce temps-là, les groupes islamistes étaient en guerre contre l'Etat algérien.
Ben Cheikh avait sévèrement critiqué lesdits groupes mais pour lui, «le pouvoir totalitaire du FLN ne manquait pas de responsabilité dans ce que l'Algérie vivait en ces années-là», a-t-il dit, avant d'ajouter : «Je voudrais souligner que le pouvoir algérien, dès le début de l'indépendance jusqu'aux années 90, n'avait aucune légitimité populaire.
Ben Bella a été imposé par les chefs des maquis du FLN. Boumediene était devenu président à la suite d'un coup d'Etat militaire… Donc, pendant au moins trois décennies, tout a été imposé au peuple algérien et tout a été décidé sans sa consultation…»
Parlant de la violence dont étaient victimes les intellectuels algériens tout au long des «années de plomb», Ben Cheikh m'avait dit : «La violence contre les intellectuels algériens ne date pas d'aujourd'hui. L'histoire nous montre que le FLN l'avait pratiquée avant les Islamistes. En 1954, le colonel Amirouche avait assassiné 400 étudiants et étudiantes qui avaient rejoint le maquis sous prétexte qu'ils étaient des espions à la solde de l'armée française. Comme lui, les autres chefs du FLN méprisaient les intellectuels et se méfiaient d'eux. Abbane Rhamdane, le plus cultivé des dirigeants du FLN, avait été liquidé par ses frères de combat. Après l'indépendance, les intellectuels libres d'esprit n'avaient qu'à choisir entre trois choses : la prison, le silence ou l'exil…»
A la question ; quels sont les rapports entre Islam et culture, Ben Cheikh m'avait répondu : «L'Islam a été décisif dans la culture, en ce sens qu'avec lui, s'est produit le passage de l'oral à l'écrit. C'est-à-dire que c'était l'Islam qui avait accompagné la mise en écriture de la culture. Cela est très important. J'ajoute aussi que l'Islam n'a pas été uniquement un texte religieux, des règles et des codes, mais aussi une culture qui embrasse plusieurs domaines : science, astrologie, géographie, histoire, philosophie, architecture, poésie, musique, etc.
Au sein de l'Islam avaient cohabité plusieurs cultures différentes : perse, chinoise, indoue, andalouse, africaine… Le seul problème qui n'a jamais été résolu est : comment peut-on imaginer, à partir de cette culture, si riche et si diversifiée un régime politique qui puisse satisfaire le peuple ? Cette question est essentielle à mon avis car toute l'histoire de l'Islam montre que tous les pouvoirs depuis le Prophète jusqu'à aujourd'hui étaient des pouvoirs autocratiques. Aucun de ces pouvoirs n'a été un modèle. Je défie donc les fondamentalistes musulmans qui parlent d'une “époque d'or” de l'Islam, de me présenter un seul régime qui eût pratiqué une politique juste et valable…»


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