La Presse — Il est des euphories innocentes que l'on peut aisément comprendre. Il en est ainsi de certaines voix qui, au lendemain de la Révolution tunisienne du 14 janvier 2011, avaient cru bon de soutenir que "c'est aujourd'hui l'indépendance, pas en 1956 ". De l'euphorie évidemment. Sans doute existe-il beaucoup de similitudes entre la lutte pour l'indépendance et la libération politique du pays et la révolte du 14 janvier. Le point commun le plus saillant est incontestablement la dignité retrouvée de tout un peuple. Mais soutenir que nous vivons aujourd'hui une seconde indépendance après celle arrachée en 1956 au prix de sacrifices énormes, c'est courir le risque d'insulter la mémoire de combattants tunisiens tombés sous les feux des forces étrangères d'occupation. C'est également aller vite en besogne en oubliant que la véritable indépendance, par-delà la libération politique, est l'indépendance économique, seul propre à assurer la souveraineté et l'invulnérabilité du pays. "L'indépendance n'est pas un but : c'est un commencement. C'est un premier pas qui nous a permis de prendre conscience de nos devoirs envers nous-mêmes et envers l'humanité". D'une rare et frappante acuité, le propos de Bourguiba (Discours de Habib Bourguiba, Tunis 20 mars 1957) est aujourd'hui remarquablement à propos pour saisir la révolution tunisienne comme étant un nouveau commencement et une occasion historique qui nous incite à nous engager dès à présent dans la bataille économique, la bataille du savoir, des sciences et des technologies. Nous avons le bonheur de vivre aujourd'hui le triomphe de la liberté, de la démocratie et de la voix du peuple contre l'arbitraire et l'injustice sociale qui avaient tant régné auparavant. Nous nous devons de méditer ce triomphe et d'en tirer tous les enseignements pour assurer succès à la Révolution du 14 janvier. Il est nécessaire que nous ménagions les conditions, pour gagner la bataille économique. Quel est donc le moteur qu'il nous faut en l'occurrence mettre à contribution ? Eh bien, nous ne pouvons en trouver de meilleur que celui de la dignité qui nous a fait gagner la bataille de la liberté ! A voir les choses de près, la dignité constitue le moteur dans la marche ascendante des masses vers le progrès. Il faudra donc entretenir ce sens de la dignité, favoriser la pensée positive en soutenant la créativité et l'ouverture de nouveaux horizons devant les jeunes en les formant à la culture de l'initiative et du compter-sur-soi. C'est avec ces jeunes que la Tunisie post-révolution peut et doit engager dès à présent la bataille économique avec calme et lucidité. Car la bataille économique est essentielle, celle qui prépare les conditions de succès de la bataille sociale. Le mot bataille renvoie à la notion de compétition positive qui devra guider la coopération de la Tunisie avec les pays du monde libre pour assurer l'intégration de l'économie tunisienne dans l'économie mondiale. Cette intégration passe surtout par la maîtrise des technologies nouvelles et par une réelle migration vers l'économie du savoir. Une analyse réfléchie de la conjoncture, des exigences de la mondialisation pose clairement le défi de l'intelligence pour un pays comme la Tunisie dont la principale richesse est son capital humain. C'est en remportant cette bataille que notre pays se dotera des attributs d'une indépendance et d'une invulnérabilité pérennes.