"Quels changements en Tunisie et quel impact sur la région de la Méditerranée" : c'est autour de ce thème que se tient, depuis hier, à Gammarth, un séminaire. La rencontre était organisée à l'initiative conjointe du Centre des études méditerranéennes et internationales, d'Euromesco (Euromediterranean Study Commission) et, surtout, de la Fondation allemande Konrad Adenauer, dont le président, M. Hans-Gert Pöttering, était présent et a assuré l'allocution d'ouverture. M. Pöttering, notons-le, est une personnalité d'autant plus éminente qu'il a été autrefois président du Parlement européen. La séance d'ouverture a été également marquée par une communication du ministre de l'Education, M. Taïeb Baccouche, qui est par ailleurs, comme chacun sait, porte-parole du gouvernement, mais dont les liens d'amitié avec la Fondation Konrad Adenauer remontent à l'époque d'avant le 14 janvier où il présidait aux destinées de l'Institut arabe des droits de l'Homme et dont il reste d'ailleurs président d'honneur, aujourd'hui encore. M. Pöttering a brièvement évoqué dans son intervention l'époque où il était à la tête du Parlement européen et où il lui est arrivé d'être dans notre pays… Il a raconté l'épisode d'une entrevue qui devait avoir lieu avec le président Ben Ali mais qui n'a jamais eu lieu en raison – "je l'ai compris clairement aujourd'hui" — de rencontres qui concernaient des cas d'atteintes aux droits de l'Homme. Le président de la Fondation allemande a rappelé aussi que la question de la stabilité des pays du sud de la Méditerranée avait bénéficié, dans l'esprit de beaucoup de décideurs européens, d'une priorité. A tort : "Elle pouvait être stagnation… Nous avons été aveuglés par les chiffres". En outre, la révolution tunisienne est venue apporter un démenti à l'idée que la question du développement économique pouvait être séparée de celle des droits politiques. M. Pöttering considère que la situation nouvelle du monde arabe administre la preuve que l'hypothèse du choc des civilisations, chère à Samuel Huntington, est fausse. Mais il ajoute par ailleurs que "les révolutions ne sont pas toujours gagnées par ceux qui les ont commencées… Il ne faut pas que les extrémismes s'emparent de la révolution". Une précision qui n'est pas à comprendre comme une prise de position contre le rapprochement entre politique et croyance religieuse : "Nous acceptons cela… mais pas l'intolérance ni l'intégrisme‑!". Et de conclure en guise de précision : "La tolérance n'est jamais à sens unique‑!" Le ministre de l'Education n'a pas manqué, lui non plus, de faire un retour en arrière dans la période passée, remontant jusqu'aux premières heures de l'indépendance. Car si les 20 dernières années, et plus encore les 10 dernières, sont des années marquées par une recrudescence des injustices et des rapines, cela s'enracine dans un "défaut constitutif" qui est lié à la confusion entre Etat et parti au pouvoir. C'est, rappelle M. Baccouche, cela qui a ouvert la voie aux dérives… "Raison pour laquelle nous n'avons pas pu construire une démocratie". Une des premières décisions du premier gouvernement, souligne-t-il, a été de rompre ce lien, et cela avant la décision, prise ensuite, de dissoudre le RCD : "Beaucoup de gens recevaient des rétributions de l'Etat pour des services qu'ils rendaient au parti, et ils en recueillaient des avantages considérables." C'est parce qu'on ne peut pas construire sur ces bases que l'un des mots d'ordre de la révolution a été la rupture avec le passé, explique M. Baccouche. Il rappelle aussi que beaucoup de gens cherchent à récupérer la révolution, en la poussant vers les extrêmes, "de droite ou de gauche". Mais, "le peuple tunisien n'aime pas les extrêmes". Et, insiste le ministre, si la révolution s'exporte, ce n'est pas en raison d'une volonté délibérée de la part des Tunisiens, mais en vertu d'une force de contagion propre : contagion positive. Toutefois, les jeunes ont besoin d'une formation politique que la société civile a trop longtemps été empêchée de leur apporter… Signalons que ce séminaire sur les changements en Tunisie et leurs impacts en Méditerranée se poursuit aujourd'hui en abordant le sous-thème des "perspectives euro-méditerranéennes", après s'être attardé hier sur celui de l'impact sur le Maghreb et le Moyen-Orient. Une table ronde est prévue l'après-midi autour de la question des expériences de transition démocratique en Europe et des enseignements qu'elles peuvent apporter à l'exemple tunisien. Nous y reviendrons.