Par Mohamed HADDAR * Le gouvernement provisoire de M. Béji Caïd Essebsi a lancé le 1er avril 2011 son Programme économique et social (PES). Son objectif est de «créer un impact immédiat sans toutefois hypothéquer l'avenir». Conçu dans l'urgence, ce programme est censé répondre à une forte demande des Tunisiens afin de restaurer l'économie, rétablir la confiance, redonner l'espoir et répondre à leurs attentes sociales. Désormais ils ont un programme et des projets avancés qui peuvent servir comme base de discussion : ils peuvent les apprécier, les critiquer et les améliorer. Comme il a été rappelé, par le gouvernement même, le programme s'inscrit dans un contexte économique difficile caractérisé par une baisse du niveau d'activité et de celui de l'investissement, un chômage préoccupant et des régions déshéritées. Les attentes sont énormes et les moyens sont rares. Comment faire face à toutes ces questions ? L'équation est très difficile à résoudre: à peine quatre mois restent pour ce gouvernement provisoire qui, normalement il le sait bien, dispose d'une faible marge de manœuvre pour relancer l'économie, développer les régions et baisser la tension sur le marché du travail. Travaillant sous les urgences, ce gouvernement n'a même pas le temps de concevoir un programme cohérent avec une nouvelle réflexion qui sort du schéma et du discours classiques de ces dernières années. Les dix sept mesures avancées, résumées en cinq priorités, constituent un catalogue de projets et de thérapies expérimentées en d'autres circonstances et qui n'ont pas donné les résultats escomptés. Il ne s'agit pas d'un programme avec des objectifs clairs et des moyens chiffrés pour atteindre ces objectifs mais plutôt d'un ensemble de "mesures" collectées et juxtaposés avec des schémas qui tendent à se reproduire et, pour cette raison, à s'éterniser longtemps avec une très lourde facture puisque l'augmentation des besoins en financement extérieur a été estimée à 5000 MD. Passons en revue les principaux points de ce programme : Relance de l'économie Face à des divers chocs qu'a connus l'économie tunisienne, les anciens gouvernements ont toujours préconisé des mesures «d'appui et de relance des entreprises» comparables aux mesures 4 et 6 du programme actuel. Ils ont toujours conçu des programmes de soutien des entreprises totalement exportatrices pour faire face aux difficultés relatives à l'exportation de leurs services et produits. Ils ont toujours parlé d'encouragement des investissements dans les zones de développement régional par des incitations fiscales avec prise en charge par l'Etat de la contribution patronale au régime légal de sécurité sociale pour les nouveaux investissements implantés dans ces zones. Alors que la mesure 6 indique un ensemble de propositions fiscales et financières pour relancer l'économie nationale, la mesure 4, relative à «la relance des entreprises qui passent par des difficultés économiques conjoncturelles» n'est pas explicite. Emploi Trois mesures ont été avancées. Le gouvernement, par la mesure 1, annonce la création exceptionnelle de 20.000 postes d'emplois dans la Fonction publique et une incitation des entreprises à faire un effort similaire à l'Etat en créant 20.000 postes supplémentaires. La Fonction publique a créé durant ces dernières années 10.000 emplois en moyenne annuelle. Le gouvernement Ghannouchi 2 en a proposé 14.000. Le gouvernement actuel passe à 20.000. L'intention est très louable. La question est que s'il existe un besoin réel, pourquoi n'a t- on pas créé ces postes avant la révolution ? Comment peut-on passer de 10 à 20.000 postes et comment les financer sachant que ces 10.000 postes supplémentaires coûteront environ 96 millions de dinars ? Quel serait le recrutement en 2012 ? Quant aux entreprises, le gouvernement provisoire reconnaît que l'économie ne peut créer plus de 15.000 postes d'emplois en 2011 contre 80.000 initialement prévus. Alors comment vont-elles faire un «effort exceptionnel» pour recruter les 20.000 emplois supplémentaires ? Y a-t-il un accord avec ces entreprises pour répondre à cette demande en contrepartie des incitations et avantages accordés par l'Etat ? Rappelons que le gouvernement d'avant-la révolution a annoncé 50.000 créations d'emplois par les entreprises privées. Sur quelle base on avance ces données sachant que, face à une concurrence internationale qui ne cesse de s'intensifier, les entreprises qui continuent à produire ne peuvent recruter davantage, que d'autres ont carrément cessé leur activité et que l'investissement ne reprendra pas de sitôt. Le gouvernement peut avancer qu'en restructurant le dispositif de micro-crédits et de financement des PME et en créant des pôles bancaires dans les régions (mesure 5), il est possible de lancer des micro-projets et de ce fait créer des emplois. Si telle est la réponse, nous disons que cette restructuration demande du temps, que son impact, à la lumière des expériences passées, n'est pas déterminé à l'avance. Les mesures 2 et 3 traduisent les bonnes intentions du gouvernement pour faire face à une très forte demande sociale dans le domaine de l'emploi. Mais des zones d'ombre persistent. Comment on est passé de 100.000 avec le gouvernement de Ghannouchi II à 200.000 avec le PES ? Quelles sont les différences avec les programmes lancés depuis des décennies visant à créer de l'emploi et réduire le chômage ? Là aussi cette proposition est ancienne. La logique de redistribution des revenus est la caractéristique principale de ces programmes qui, au cours de ces dernières années, ont pris des noms divers : le programme d'accompagnement des promoteurs des petites entreprises; les Stages d'initiation à la vie professionnelle "SIVP"; le contrat d'insertion des diplômés de l'enseignement supérieur; le contrat d'adaptation et d'insertion professionnelle; le contrat de réinsertion dans la vie active; le contrat emploi – solidarité; le programme d'encouragement du secteur privé à recruter les diplômés de l'enseignement supérieur; l'amélioration du taux d'encadrement des entreprises et encouragement au recrutement des diplômés de l'enseignement supérieur; l'encouragement de certaines catégories d'associations au recrutement des diplômés de l'enseignement supérieur; l'encouragement à la réinsertion dans la vie professionnelle des salariés ayant perdu leur emploi pour des raisons économiques…. Ces programmes ont coûté cher et leur efficacité pour réduire le chômage est très faible. Ils répondent moins à l'objectif d'une dynamique économique qu'au souci de différer les solutions en assurant les moyens d'une survie économique et des conditions de vie relativement décentes pour une période donnée. Développement régional Au niveau du développement régional, quatre mesures ont été avancées (10 à 14). La révision du budget de l'Etat et de la loi de finances 2011 en vue d'une «réallocation significative des dépenses en faveur des zones et régions prioritaires à la lumière de demandes exprimées par les régions» (mesure 10), s'impose. En l'absence de précisions sur les «dotations budgétaires à allouer aux autorités régionales pour actionner localement les mécanismes de l'emploi et les aides sociales, tout en adoptant des procédures qui allient rapidité, transparence et équité» — combien, comment et quoi faire — la mesure 11 traduit également les bonnes intentions de ce gouvernement. La mise en œuvre de la mesure 12, à savoir la «dissolution des conseils régionaux et leur remplacement par des représentations spéciales impliquant la société civile et les compétences locales» n'est pas claire. Concernant les «grands projets» évoqués par la mesure 13, l'on sait déjà que le ministère de la Planification et de la Coopération internationale dispose, dans ses tiroirs, d'un portefeuille de projets. Est-il temps de les faire sortir aujourd'hui ? Quels sont les projets prioritaires ? Quelle région servir en premier lieu ? A ce niveau, les attentes sociales sont suspendues à la question de savoir ce que l'Etat va retenir comme projets d'investissement. Comme l'indique le PES, «notre économie dépend du travail et de l'intelligence des hommes et des femmes de ce pays» mais aussi «des relations de confiance que nous nous attachons à consolider avec les entreprises et partenaires internationaux qui travaillent et investissent en Tunisie». La prospérité future du pays repose, en grande partie, dans la capacité de ce gouvernement et de ceux qui vont le suivre à mettre en place un environnement propice au développement d'un secteur privé, national et international porteur d'un transfert technologique, dynamique, capable à développer des activités incorporant plus de valeur ajoutée qui lui permettraient de mieux se hisser sur un palier de croissance plus élevé et mieux partagé. A ce niveau, le gouvernement doit reconnaître que le modèle de croissance suivi jusqu'à maintenant, avec ses 5% de croissance en moyenne annuelle, est incapable de répondre aux aspirations d'une population jeune et de mieux en mieux formée à la recherche d'opportunités d'emplois pour exprimer ses talents et sa créativité. Le pays doit construire des ressources spécifiques incorporant un savoir-faire et un contenu technologique élevé. Même transitoire, un gouvernement doit jeter les bases d'une telle économie saine et créative. Sans cela, nous retrouvons, encore une fois, les vieux discours et les vieux remèdes. Des jeunes à la recherche d'un emploi qui ont attendu des années peuvent faire des sacrifices supplémentaires s'ils ont l'espoir et la confiance. La transition démocratique dépend de cette confiance réciproque entre la classe politique et les citoyens. Le discours économique du gouvernement doit changer. Il doit être clair, crédible, transparent et qui ouvre les horizons. Les décisions doivent être concrètes et visibles. La vérité doit commander de dire ce que le gouvernement peut faire et ce qu'il ne peut pas faire sans céder à la facilité de mesures qui créent des faux espoirs. Il ne faut pas oublier qu'en est en période de révolution qui implique une nouvelle réflexion, un nouveau discours et un nouveau programme plutôt que de vieux schémas qui ont montré la faiblesse de leur efficacité.