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Dr Mahmoud Materi témoigne
Manifestations de la Journée du 8 avril 1938
Publié dans La Presse de Tunisie le 09 - 04 - 2011

Le 8 avril vers 10h 30, je reçus la visite d'un groupe de jeunes destouriens fort excités. Ils me demandaient avec insistance de retourner à la tête du Parti pour diriger la bataille déjà engagée. Ils me faisaient part de leur détermination à mettre à sac les locaux des journaux La Dépêche Tunisienne et La Presse et même d'envahir la Résidence générale au cours de la manifestation prévue pour l'après-midi. J'ai eu toutes les peines du monde pour leur démontrer l'absurdité des actes qu'ils méditaient et je crois être arrivé à les amener à considérer la situation avec plus de calme. J'étais quand même bien inquiet après leur départ.
Mon inquiétude ne fit qu'augmenter lorsque je reçus, une heure plus tard, la visite d'un inspecteur de police tunisien des services généraux dont je connaissais bien la famille et qui venait de temps en temps me mettre au courant de ce qui se tramait dans les services de la sûreté. Il était naturellement au courant des bruits que répandaient imprudemment les jeunes destouriens sur leurs projets contre certains journaux et même contre le siège de la Résidence. Il m'apprit également que d'importantes mesures de sécurité étaient prises, que des militaires étaient en train d'installer des fils de fer barbelés et électrifiés autour de la place de la Résidence et que toute la police avait reçu des armes chargées depuis la veille. Ce garçon n'avait pas l'habitude de me raconter des inexactitudes et je me rendis bien compte de la véracité de ses dires. J'aurais pu me dire: « Puisque maintenant je suis hors de course, je peux m'en laver les mains». Mais non, je ne pouvais penser cela. Je savais que Tahar Sfar était à Sousse où il plaidait une affaire, que Bahri Guiga était en France, envoyé en mission par le Bureau politique et que les autres principaux dirigeants du Parti étaient sous les verrous. Bourguiba y serait-il? Je n'en étais pas bien sûr, on ne l'avait presque jamais vu à la tête d'une manifestation. Il ne restait que Mongi Slim rentré depuis peu de ses études et Ali Belhaouane sur lequel on ne pouvait compter pour calmer les esprits. Je pris donc la décision d'être présent à la manifestation pour essayer d'éviter le pire. Vers midi, je me rendis à la Porte de France et à la Place de la Résidence pour me rendre compte de visu de la situation et je constatai moi-même l'importance des mesures prises.
Les organisateurs avaient décidé de faire deux groupes de manifestants; un groupe, ayant pour lieu de rassemblement la place Halfaouine, devait parcourir la rue Bab Souika, Bab Carthagène, la rue des Maltais et l'autre groupe, rassemblé à la Place aux Moutons, devait parcourir l'avenue Bab Jedid et la rue Al Jazira. Le point de rencontre des deux cortèges était la Porte de France. Je rejoignis le deuxième groupe à Bab Jedid et les manifestants, en me voyant arriver, me firent un accueil touchant, me portant sur leurs épaules et criant: «Voici notre père qui nous revient, vive le Dr El Materi ! »Quelques-uns avaient les larmes aux yeux et moi-même, j'étais extrêmement ému. Tous les magasins et boutiques étaient fermés. La manifestation se passait dans le plus grand calme, l'ordre était assuré par des militants portant le brassard au croissant et à l'étoile rouge et par l'organisation des scouts. Le service d'ordre officiel était très discret, presque invisible. Je n'entendis aucun cri séditieux, la seule revendication scandée était : «Barlamane Tounssi, Barlamane Tounssi!» (Parlement tunisien).
A la Porte de France, les deux cortèges n'en firent plus qu'un dont je pris la tête avec Mongi Slim et Ali Belhaouane. Le seul reproche que je fis aux organisateurs, c'était d'avoir placé en tête du cortège quelques dizaines de femmes et d'enfants dangereusement exposés. A partir de la Porte de France, les choses commencèrent à se gâter. La manifestation comprenait à ce niveau au moins dix mille personnes. Quelques cris séditieux furent prononcés, des gestes de menace furent adressés aux Européens sortis sur leurs balcons. Par ailleurs, la distance séparant la Porte de France et la Place de la Résidence était trop réduite pour contenir toute cette foule, aussi des bousculades commencèrent-elles à se produire, tout le monde voulant arriver sur la place.
Le service d'ordre dirigé par le commissaire central et le directeur de la Sûreté était extrêmement important. Des fils de fer partaient de l'angle de la rue Essadkia [rue G. Abdenasser] et contournaient la place jusqu'à la rue de Rome. Devant les fils de fer se trouvaient les forces de police et derrière il y avait des zouaves et des Sénégalais dont les armes étaient déjà braquées sur la foule. La situation me paraissait très grave. Je n'ai jamais eu autant peur dans ma vie. Mongi Slim prit le premier la parole, il dit des choses raisonnables et insista sur le caractère pacifique que devait garder la manifestation. Par contre, Ali Belhaouane, qui lui succéda, donna libre cours à son tempérament impétueux et je constatai avec angoisse que la foule devenait menaçante. Des voix criant: «Allons à l'assaut des fils de fer barbelés», «Montrons notre force aux colonialistes de l'avenue J. Ferry , [avenue H. Bourguiba] et de l'avenue de Paris et à leurs porte-parole». Lorsque Ali Belhaouane termina son discours, des voix crièrent «Le Dr Materi, le Dr Materi !» et je me sentis hissé par plusieurs bras. Un silence complet régna sur cette foule.
«Mes chers frères,
J'ai tenu à prendre part à cette manifestation pour protester avec vous non seulement contre les mesures répressives dont sont victimes un grand nombre de nos camarades, mais aussi contre l'immobilisme pratiqué par le gouvernement du Protectorat. Des promesses nous ont été faites par la voix d'un de ses ministres et par son représentant en Tunisie. Mais ces promesses n'ont pas été tenues sous prétexte que la France avait changé de gouvernement. Bien plus, les quelques mesures libérales accordées ont été rapportées et des décrets plus scélérats que les précédents veulent nous museler et étouffer notre voix. En protestant par cette grandiose manifestation, nous faisons non seulement un acte légitime mais nous accomplissons un devoir sacré. Pour ceux qui nous observent autour de cette place, le Résident Général et ses collaborateurs, la police et ses troupes armées n'ignorent pas les raisons de notre présence. Néanmoins, je vous suggère de désigner une délégation qui ira tout de suite exprimer nos protestations et présenter nos doléances au représentant de la France. Je ne doute pas qu'elle pourra trouver avec lui un terrain d'entente qui mettra fin à la tension de ces derniers jours».
A ce point de mon allocution, Ali Belhaouane se fit hisser de nouveau pour m'interrompre et crier:
- «Non, non, pas de délégation. Plus de discussions, plus de parlote. Nous n'avons pas peur des armes braquées contre nous. Maintenant c'est la lutte sans fin. Nous ne bougerons plus de cette place. Que la police et l'armée se servent de leurs armes si elles veulent et on verra de quoi le peuple sera capable». Quelques voix crièrent :
- «Oui, oui! Belhaouane a raison, nous ne partirons pas, nous coucherons ici cette nuit!»
Le moment était vraiment dramatique. Sans aucun doute, le service d'ordre, jusque-là immobile, allait finir par intervenir au premier geste agressif. J'imaginais avec horreur des policiers et des soldats fauchant cette multitude enfermée dans une véritable souricière. Je pris de nouveau la parole et dis à la foule:
- «N'écoutez pas ceux qui ont perdu la raison. Votre manifestation a atteint son but qui est d'exprimer le mécontentement du peuple et sa colère. Je suis sûr qu'on vous a compris. Le seul conseil que je vous adresse est de rentrer dans vos foyers avec calme et discipline comme vous êtes venus. Lorsque je vous ai rejoints tout à l'heure, vous avez crié : «Voici notre père qui nous revient». Puisque vous me considérez encore comme votre père, écoutez- moi, je quitte cette place pour rentrer chez moi et je vous invite à me suivre».
Puis je descendis des épaules qui me portaient et je fendis la foule silencieuse me dirigeant vers la Porte de France, la rue Essadikia et la rue de Rome ayant été bouclées. Je constatai avec une immense satisfaction que la foule me suivait. Etant retourné sur place trois quarts d'heure plus tard, je n'y trouvai plus de manifestants et j'appris qu'il n'y avait eu ni incidents graves ni arrestations. J'avais le sentiment (et je le conserve toujours) que je venais d'accomplir le plus bel acte de ma vie.
Je rentrai chez moi harassé de fatigue et accablé d'émotion. Mais l'inquiétude ne me quittait pas et je ne pus, toute la nuit, fermer l'œil. Le lendemain, 9 avril, je me rendis à mon cabinet, la paupière lourde, l'esprit troublé, l'âme inquiète. Mes malades eux-mêmes me parlaient beaucoup plus de la situation que de leurs maux.


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