Par Mourad Ben CHEIKH Je vous ai vus crier, vous indigner, réclamer, menacer et même promettre des lendemains incertains en votre absence. Mesdames et Messieurs, où étiez-vous quand tout un peuple s'indignait en silence, n'osant même pas réclamer un minimum de droits ? Où étiez-vous quand la peur bloquait la société civile, les industriels, les associations et tous les tissus vivants de cette nation ? Aujourd'hui, vous nous dites que vous étiez vous-mêmes sujets à cette peur... Allons donc, nous vivions dans une même Tunisie, immergée dans la même réalité où la peur était omniprésente ; mais une différence fondamentale nous sépare. Tandis que nous étions l'objet de cette peur, vous en étiez l'un des instruments principaux. Ce Rassemblement était la première cheville ouvrière du cloisonnement de tous les espaces publics. Vos hommes ont noyauté la société, isolé les opposants, cloué le bec aux indépendants et embrigadé, par la force, les plus faibles des citoyens. Les cartes d'adhésion étaient distribuées en fonction de l'allégeance au parti, les carrières évoluaient au gré de l'abnégation démontrée à servir le bien du parti et non celui de la nation. Aujourd'hui, vous voulez nous faire croire que seule la famille Trabelsi a constitué une mafia. Je vous demande : comment pourriez-vous qualifier un réseau qui bloque les carrières, noyaute les tissus associatifs, soumet le citoyen à une surveillance continue. Une organisation qui disposait de ses propres hommes de main et jouissait du soutien inconditionnel de l'appareil répressif de l'Etat. Aujourd'hui, j'ai vu certains d'entre vous déclarer que vous subissiez le même joug que l'ensemble du pays. Pour un instant, un instant seulement, je veux bien vous croire, mais comment alors concilier cette assertion avec la réalité des faits ; une réalité qui dit que le RCD était le principal outil de cette dictature. Vous en étiez à la fois les complices et les instruments. Avez-vous dénoncé la dictature du temps où elle s'exerçait ? Non‑! L'avez-vous dénoncée après ? Non! Vous étiez-vous éloignés par désaccord ? Non ! Avez-vous défendu l'existence d'une opposition ? Non ! Avez-vous défendu la société civile ? Non ! Avez-vous défendu les libertés individuelles ? Non ! Avez-vous reconnu vos erreurs ? Non ! Avez-vous demandé pardon ? Non! Je me demande alors avec quelle crédibilité vous prétendez aujourd'hui pouvoir entrer pleinement dans le jeu démocratique ? Quand j'ajoute à toutes vos réponses négatives et préoccupantes celles qui entourent encore votre allié indéfectible comme outil de la défunte dictature, le ministère de l'Intérieur. Quand l'ancien ministre, Farhat Rajhi, parle dans une récente interview à Essabah d'insubordination de la part de pans entiers des agents de l'ordre, je ne peux faire confiance à un retour du RCD et de ses hommes à la vie publique. Vous avez, des années durant, semé vos désherbants sur cette terre fertile, et seules vos mauvaises herbes avaient le droit de pousser, de s'épanouir. Vous avez inoculé vos virus à tout un peuple et vous y avez disséminé la peur. Aujourd'hui que ce peuple s'est finalement libéré de votre joug, vous prétendez avoir été de simples porteurs sains de ces mêmes virus. Mesdames et Messieurs du RCD, pour vous croire, il faut que vous passiez l'examen de la quarantaine politique. Il faut que cette société, tel un petit bébé, puisse faire ses premiers pas à l'abri de tout virus mortel. C'est dans cette éventualité, et uniquement dans cette éventualité, que vous pourriez retrouver l'espace que l'immunité acquise par cette société, une immunité qui s'appelle "‑Liberté‑", voudra bien vous accorder. J'espère que vous vous rappellerez alors que c'est cette révolution qui vous aura généreusement accordé ce que vous n'aviez jamais accordé aux autres.