Vous avez écrit Indignez-vous, sorti à ce jour à plus de 1.500.000 exemplaires et traduit dans plusieurs langues, dont notre langue maternelle l'arabe, et nous, petit pays de 10.000.000 d'habitants, nous nous sommes soulevés, révoltés et notre soulèvement a été suivi par l'Egypte, notre voisine de gauche l'Algérie, son voisin de gauche le Maroc et maintenant la Libye. Toutes les caméras du monde ont été braquées sur ce moment courageux et douloureux de notre histoire et toutes les caméras et les radios parlent de vous et de ces vingtaines de pages. Pourquoi toutes ces gesticulations sur ce pamphlet, oui je me permets de l'appeler ainsi, parce qu'il n'a laissé personne indifférent et au balbutiement de ce vingt et unième siècle, vos écrits, Monsieur Hessel, vous ont révélé comme un prophète. Quand vous étiez en pourparlers avec cette maison d'édition qui sortira votre livre et à laquelle vous avez fait don de chaque centime de sa vente, de l'autre côté de la Méditerranée, le jeune Mohamed Bouazizi, en s'immolant, réveilla la conscience humaine et engendra le début de la révolte de mon peuple qui était soumis. Aux jeunes Tunisiens qui ne vous connaissent pas encore et ne savent pas qu'à 93 ans, vous avez fait couler des tonnes d'encre avec seulement 20 pages, je dirai que vous êtes tout de même le fils de Jules et Jim, que vous défiez les dirigeants israéliens du regard et les grondez comme on gronde les enfants qui ont mal appris leurs leçons. Je leur dirai également que vous avez appris comment, des camps de concentration vous êtes sorti mûri et avez su tirer de ce cauchemar une philosophie qui inspire au regard des peuples du respect et de l'admiration, que vous n'êtes pas resté les bras croisés. Je leur expliquerai comment vous n'épargnez pas les lâches de quelque bord qu'ils soient, de l'Orient ou de l'Occident. Ils ont tous entendu ce cri de Münsch que vous avez poussé, comment à 93 ans vous avez osé envoyer ce que j'appellerais un recommandé international avec accusé de réception. Bravo, il a fallu un Allemand (rappelons que vous êtes devenu français à l'âge de 20 ans) pour les réveiller et aussi leur mentionner que les Tunisiens ne les attendent pas pour connaître le mot démocratie. Qu'il est vrai que l'on vous a reproché d'avoir utilisé la Palestine comme cheval de bataille de votre opuscule, mais vous êtes de toutes les causes perdues, vous êtes comme disent les chrétiens, le défenseur de la veuve et de l'orphelin. Je leur dirai à quel point vous êtes un universel, le frère de J.J.Rousseau. Vous nous avez donné à tous, ce jour-là, une leçon d'humilité et de sagesse. J'ai pris note de tous vos mots et en les relisant, j'ai fait remarquer à tous mes proches que dans votre discours, il n'y avait aucun signe de fatigue dû à votre âge avancé et 65 ans après avoir participé à la rédaction de la Convention des droits de l'homme et du citoyen, et après avoir assisté aux événements les plus cruels du XXIe siècle, vous nous souriez avec un regard malicieux et vous nous dites qu'il y a encore et toujours l'espoir, vous nous désarmez : la réflexion n'aura qu'à ouvrir la porte à la liberté. Monsieur Hessel, comme je l'ai dit à un camarman qui m'a demandé à la sortie de cette rencontre ce que je pensais de vous : «Oui, si j'avais pu, je vous aurais porté sur un plateau rempli de jasmin vers mon pays». «Stéphane, allons voir si la rose qui ce matin avait éclos sa robe de pourpre au soleil de Jérusalem, le Caire, Tunis, Tripoli, Alger...» mes frères et sœurs tunisiens et arabes, ouvrons nos demeures aux hommes et femmes comme lui et laissons nos cœurs, versés par leurs paroles apaisantes. Et surtout écoutons bien leurs paroles: laissons le temps au temps, ne brusquons rien . Ce grand sage l'a dit : rien de durable ( et c'est ce que nous souhaitons) ne se fait dans la violence quelle qu'elle soit (verbale ou physique). Si ce grand homme est ce qu'il est aujourd'hui, c'est parce qu'il a marché prudemment, il a su courir. Safiya BOUCHRARA-VIAL P.S.: Merci Monsieur Hessel de dire au garde du corps qui se tenait à votre droite quand vous offriez vos dédicaces que l'on peut dire des tas de choses à une Tunisienne, mais certainement pas de dégager. Mais vous vous doutez que je ne me suis pas laissé faire : je l'ai salué en partant en allemand, mais par respect pour vous, je n'ai pas levé le bras droit et pour rire, j'ai omis de lui dire schlafen sie gut, c'est-à-dire dormez bien. A bientôt Inchallah en France et laissez-moi l'espoir de vous inviter ainsi que votre épouse en Tunisie. Faites que mon peuple et moi puissions avoir le plaisir d'entendre vos belles paroles. Les sages arabes ont besoin de votre soutien. Merci de répondre à leur appel.