Vous chercherez vous-même à savoir où vous ont amené vos manières, ce dont vous profitez en appliquant les maximes que vous avez appris dans votre enfance. Le bonheur que vous ressentez en appliquant fidèlement les recommandations des institutions familiales, pédagogiques et administratives qui vous ont assisté pendant votre croissance, et qui vous ont inculqué des valeurs et des manières, dites bonnes, qu'elles-mêmes n'ont pas rigoureusement respecté, mais qu'elles vous ont appris juste parce que c'était ainsi et qu'il leur fallait une tête de turc. En grandissant vous vous êtes rendu compte que vous ne mettiez plus vos poignets sur le bord de la table pendant les repas, comme vous l'a appris votre père pendant les années soixante. Histoire de ne pas paraître mal élevé en mettant vos coudes sur la table, et en vous tenant la tête entre vos deux mains, pour manifester votre mécontentement et votre ennui de devoir vous attabler, et partager un dîner en famille, que maman a préparé pendant toute la sainte journée, en pensant à son mari qui reviendrait fatigué et affamé le soir. Vous vous êtes donc aperçu que ce que papa - paix à son âme - vous apprenait en vous donnant une petite tape sur le revers de la main, geste aboli spontanément au cours de votre vie. Alors, la nostalgie aidant, il vous vient à l'idée de faire profiter vos enfants des mêmes bonnes manières que papa, dans ses années soixante, vous apprenait, et que vous ne respectez plus vous-même. Avant même que n'apparaissent les caractères sexuels masculins secondaires sur votre corps, les plus grands vous ont dit qu'étant donné que vous étiez un garçon, qui se muerait plus tard en homme, vous étiez dans l'obligation - que vous aurez le choix de définir comme vous voudrez plus tard, cela dépend seulement de vous - de faire preuve de galanterie envers les filles. D'ouvrir la porte pour les laisser passer, de vous lever de votre siège pour qu'elles se reposent - même si elles n'en ont pas du tout besoin. De toujours leur céder votre tour, par exemple en jouant au Monopoly. Mais ça devient problématique quand vous grandissez, et que vous allez payer la facture de l'électricité à la STEG, qui n'est pas exactement comme la compagnie de distribution d'électricité, à côté du Boulevard de la Villette au Monopoly. Vous êtes le seul homme dans une file de femmes, et comme vous êtes galant parce que vous l'avez appris avant même votre adolescence, vous les laissez passer avant vous, et lorsque vient votre tour, on vous ferme le guichet au nez car vous avez dépassé l'heure. Parce que vous êtes très bien élevé, vous ne vous demanderez pas à quoi vous a servi la galanterie (la communauté japonaise souffre de machisme, les documentaristes français sont scandalisés de voir les hommes dans le métro ne pas céder leur place aux femmes ; cela n'a pas empêché le Japon d'être la seconde puissance au monde). Vous étiez une fille comme les autres, vos parents ont décidé un beau jour de vous inscrire dans un cours de bonnes manières, parce que vos attributs sexuels l'ont décidé ainsi pour vous, vous n'y pouviez rien. Vous avez appris la façon dont il faut poser le couvert sur la table, comment réussir un plat et le saupoudrer d'aphrodisiaque qui va permettre à votre couple d'invités de continuer une bonne soirée chez eux (vous aurez fait une bonne action), comment porter le tailleur et remonter vos cheveux en un chignon, la courbure du sourire qu'il faut greffer sur votre bouche et ne plus vous en départir, l'intonation de votre voix et le rire que vous poussez en levant votre verre à l'honneur de vos invités, etc. Tout ça vous l'avez appris en étant jeune, et maintenant que vous êtes la maîtresse de votre maison, vous passez votre semaine à organiser des dîners, riches et copieux grâce à votre richissime mari que vos parents vous ont sélectionné. Vous portez toujours un regard complaisant sur votre existence, jusqu'à ce que, une nuit, vous vous rendiez compte que vous êtes pathétique, et que vous pleuriez toutes les larmes de votre corps, avant de mettre fin à vos jours (Lady Di fut princesse, elle faillit être reine d'Angleterre, elle a dû adopter des manières bien distinguées pour faire plaisir à tout le monde... vous savez comment elle a fini). Vos bonnes manières vous incitent à être gentille avec tout le monde, il faut répondre aux attentes de vos parents chéris, qu'ils soient fiers de vous, alors vous prenez la peine de saluer longuement et respectueusement tous les inconnus que vous rencontrez. Vous ne devez pas vous bousculer dans un service administratif - à la merci d'un personnel tellement digne de la tâche à laquelle il est attelé ! -, ne pas brusquer, ne pas pousser, ne pas prendre la place de quelqu'un d'autre. Vous ne devez pas couper quelqu'un quand il parle, mais participer poliment à la conversation et lui poser des questions gentilles. Alors quand vous êtes braqué par un voleur dans une ruelle, vous devez prendre la peine de lui demander galamment : "Puis-je savoir qu'avez-vous l'intention de faire, à présent ?" Et vous aurez passé toute votre vie à apprendre les bonnes manières, et à les appliquer quand vous avez votre autonomie. Jusqu'à ce que vous décidiez un jour que, ce qu'il faut absolument faire, c'est de devenir un vrai sauvage. Pour subsister.