A «El Teatro», devant une salle comble, M. Ahmed Ben Salah, secrétaire général du Mouvement de l'unité populaire (MUP), a fait l'historique de son parti, né il y a 37 ans, et qui vient d'être légalisé. L'ancien ministre de Bourguiba, dont toute une expérience historique de développement porte le nom, s'est réclamé fièrement de cette période de construction de la Tunisie nouvelle qui a été marquée par de grandes batailles en matière d'instruction publique, de santé et d'initiatives économiques. Il a fait état d'un véritable complot qui aurait visé son programme, pourtant assumé alors par le Parti socialiste destourien, héritier du Néo-Destour, complot qui devait être couronné par son propre assassinat. L'ancien leader de l'Ugtt, après la mort du martyr Farhat Hached, a expliqué que son expérience au sein du gouvernement (il détenait quatre portefeuilles) est abusivement associée aux seules coopératives alors qu'il s'agissait en fait de mettre en pratique un vaste programme économique basé sur la coexistence de trois secteurs : privé, public et coopératif. Sachant que c'est la décision, prise par Bourguiba, de généraliser les coopératives de manière accélérée qui a conduit, selon M. Ben Salah, à l'échec de l'expérience. M. Ahmed Ben Salah a indiqué qu'il avait, à l'époque, réussi à convaincre la Banque mondiale de financer le programme agricole tunisien. Et c'était la première fois que cette institution financière internationale s'impliquait dans l'agriculture. Mais les convoitises dont faisaient l'objet les terres de la part de certains «militants» du mouvement national et le revirement effectué par le PSD allaient conduire à la fin de l'expérience. Suivie d'une véritable chasse aux sorcières et du procès de Ben Salah après un interrogatoire ridicule d'à peine 20 minutes mené par un juge d'instruction aux ordres qui devait se conclure par une inculpation pour «haute trahison» sur la base de «fausses informations» communiquées au président Bourguiba sur les performances des coopératives. M. Ahmed Ben Salah, qui n'a cessé de se réclamer de l'Ugtt, a indiqué que l'expérience des années 60 s'est inscrite dans la continuité du premier programme économique et social élaboré par Farhat Hached juste au lendemain du discours historique de Pierre Mendès-France sur l'autonomie. Un programme qui sera adopté par le congrès de l'Ugtt puis celui du Parti libéral constitutionnel (Néo-Destour). Avant que ce dernier ne se transforme en 1964 en Parti socialiste destourien. Le leader du MUP a catégoriquement rejeté la propagande qualifiant cette expérience de «communiste». Alors que c'est une épopée «d'édification économique et sociale» qui a vu la naissance d'industries stratégiques, le démarrage du tourisme, la réussite de la généralisation de l'instruction. Aujourd'hui, le MUP est défavorable à tout système basé sur des classes dominantes et d'autres dominées, et milite pour une société d'équilibre et harmonieuse. Sachant que l'économie, la culture et l'enseignement doivent être les priorités, notamment au niveau des régions. Concernant les impératifs de la période post-révolutionnaire que vit la Tunisie, M. Ben Salah a regretté la grande multiplicité des partis politiques et souhaite que se mette en place un parlement provisoire devant rédiger une Constitution qui serait soumise à un référendum populaire. «Aucune élection ne doit intervenir avant l'adoption de la nouvelle Constitution», a-t-il lancé, rappelant que cette proposition avait été soumise depuis le 20 janvier, soit 6 jours après la Révolution. Il a indiqué que le référendum pourrait être organisé le 24 juillet prochain. Le secrétaire général du MUP a critiqué la décision relative à la parité au niveau des listes de candidats dans la mesure où cela représenterait une atteinte à la liberté de candidature. Il a également regretté la mesure d'inéligibilité frappant les responsables RCD, estimant que tout esprit revanchard nuit à la démocratie et à la cohésion nationale. Il a par contre appelé à écarter tous ceux que la justice aura condamnés. Et puis «il faudra se réconcilier», a-t-il confié. A propos de l'Instance de la réforme politique, M. Ben Salah a affirmé que son parti avait proposé trois noms (communiqués par M. Hichem Essafi) devant faire partie de cette structure. Mais qu'en définitive, «le plus vieux parti d'opposition de la Tunisie indépendante n'a pas été retenu». M. Ben Salah s'est déclaré favorable à un régime parlementaire assorti d'une spécificité tunisienne qui garantirait un équilibre entre l'exécutif et le législatif, permettant de contrer les excès du parlement et ceux du président de la République. Son modèle, ce sont les pays nordiques, et notamment la Suède. Et puis, quoi qu'il en soit, l'idéal, ce sont «des élections à partir de la municipalité, avec des élus locaux, des élus régionaux et des élus nationaux qui siégeront au parlement». Enfin, M. Ahmed Ben Salah appelle à «faire attention à tout dérapage dans les médias, toute provocation, tout propos pouvant occasionner une fracture au niveau de la communauté nationale».