21 partis…non 31 partis…plutôt 51 partis, dites-vous. En veux-tu en voilà. Chaque jour son lot. Et si on y ajoutait l'Ugtt, la monolithique centrale syndicale, qui joue les prolongations et flirte avec la politique sans y être autorisée légalement, ni même être invitée par le corps social, éberluée par le négativisme de cette force populaire héritière de Mohamed Ali, de Farhat Hached et de tant d'authentiques patriotes qui ont rempli leur contrat de militants mobilisés pour libérer la patrie du joug colonial. Quotidiennement, le ministère de l'Intérieur égrène les nouveaux visas accordés aux nouvelles formations politiques comme des champignons. Un feuilleton qui n'en finit pas. Des partis en accroissement quasi exponentiel et le compteur de la démocratie en est presque affolé. C'est assurément un signe de bonne santé dans la logique sociopolitique pure. D'ailleurs, les communiqués du ministère de l'Intérieur tiennent ici le rôle de baromètre de l'avancée de la démocratie dans notre pays. Ces communiqués quotidiens feraient office de bulletins de santé que s'imposent les directions politiques des pays ancrés dans la démocratie et qui aménagent, par la publication régulière, la transparence de vie de ceux qui ont en charge les destinées de leur patrie. On peut aisément considérer cet aspect comme illustration des acquis majeurs de la révolution du 14 janvier 2011. A l'instar de la liberté recouvrée de celle de l'information (à scruter de près pour en faire l'exact examen en mettant en exergue les dérapages et les déboires), comme l'indépendance de la magistrature (en pleine gestation et nos magistrats eux-mêmes en sont à l'apprentissage non sans risque ni sans maladresses ou scories parfois), l'un des acquis phares est également celui de la séparation de l'Etat et des partis, une épine au pied en a été débarrassée. De la synergie révolutionnaire La création des partis s'inscrit dans le droit fil de la logique révolutionnaire et dans la synergie naturelle de la transition démocratique. En attendant que la liste soit enrichie par d'autres réalisations, parions, par le comportement citoyen de chacun, qu'une culture de la démocratie saura éclore et se former pour servir de réel fondement d'une vie sociale plus libre, plus responsable et plus participative. La liberté qui représente le nœud gordien et la valeur régalienne de la démocratie a pour composantes : • Une liberté d'expression garantie et effectivement exercée • Un dispositif de contrôle de l'exercice du pouvoir • Un mécanisme d'évaluation de l'action politique • Une alternance au pouvoir assurée et préservée (non susceptible d'être dénaturée ou manipulée pour aboutir à des mandats à vie) • Une réelle participation du citoyen à la vie politique (essentiellement en aménageant des moyens d'exercice du droit de vote et son corollaire le droit à la candidature). C'est en rapport avec le dernier principe-fondement de la démocratie que l'analyse et la critique du paysage partisan tunisien s'imposent. Au-delà de la réjouissance que nous procure l'annonce de ces nouvelles et heureuses naissances de partis, il est utile d'examiner de plus près ce paysage. Si nous voulons que cette donne serve la transition démocratique sans heurt ni risque démesuré, nous devons analyser la situation avec objectivité et sans passion, dans la mesure du possible. S'en abstenir c'est aller tout droit dans le mur. Pléthore de partis monochromes et monoplaces Le passage en revue des nouvelles formations donne l'impression probante de voir défiler le même parti (avec des variations des termes de l'appellation qui sont parfaitement interchangeables). Ces nouveaux partis ressortent davantage de l'exhibition et de la parade que de la compétition et la course pour le pouvoir. Ils se ressemblent tous (jusqu'à aujourd'hui). Il n'est donc pas étonnant qu'ils soient uniformes ou qu'ils semblent l'être en attendant la publication de leurs programmes et choix idéologiques. Ils sont monochromes. De surcroît, ils seraient du type cavalier solitaire. Du fait qu'ils sont nouveaux, ils doivent faire un forcing nécessaire et urgent en matière de recrutement d'adhérents. Les journaux se confinent à l'énoncé du ou des fondateurs à l'exclusion d'informations de tout ordre pouvant être extrêmement utiles dans cette délicate période de mobilisation en vue de l'échéance toute proche de la date butoir du 24 juillet. Ces partis sont donc du type monoplace en attendant que d'autres pensionnaires rejoignent les personnalités fondatrices déclarées. On serait tenté de dire — absence d'informations oblige — que ces partis seraient mono-moléculaires, tellement ils se rapprochent des choses difformes et en une seule masse sans contours distinctifs des composantes et des fonctions. Exhibition ou compétition On ne peut sérieusement expliquer cette fièvre partisane et cette floraison de partis par le simple souci de notoriété ou la quête de vedettariat. Loin de nous, non plus, la saugrenue idée que la motivation des fondateurs serait essentiellement le bénéfice de la prime octroyée par l'Etat, comme le stipule la législation tunisienne sur les partis. Les initiateurs de ces formations ne sauraient être appâtés par ces dizaines de milliers de dinars. Il n'en serait pas autrement quand on prétend avoir pour mission d'encadrer les citoyens et les mobiliser en faveur de nobles causes. Quelques poignées de dinars ne suffisent pas à alimenter les ambitions politiques ni à entretenir la flamme du militantisme patriotique. De toute manière, on ne peut que dédouaner ces pionniers de la liberté d'expression et d'action quant à leur intention d'enrichissement sans cause dont ils se seraient rendus coupables. Ils en sont immunisés ou supposés l'être. Comment donc expliquer cette avidité à créer, au pied levé et dans la précipitation, tant de partis aussi ressemblants les uns aux autres ? Quelles sont les raisons profondes de cette course folle et effrénée ? La motivation ne pourrait être que cette soif inassouvie de liberté. Cette liberté longtemps confisquée et souvent brimée. Ces partis si conformes dans leurs politiques et dans leurs programmes (quand ils existent) qu'on serait autorisé à les comparer à des vers nus, tant la ressemblance est grande. A leur mérite cependant, ce courage, je devrais dire cette audace, de crier haut et fort leur joie de recouvrer la liberté et clamer leur volonté d'apporter leur pierre à la construction nationale. Légalement et non légitimement, cette kyrielle de partis n'a pas lieu d'être. En effet, la loi sur les partis stipule qu'ils doivent nécessairement se distinguer les uns des autres par leurs options idéologiques exprimées dans leurs programmes dûment énoncés. Quid de ces programmes aussi occultes que le fantôme des adhérents ? La personnalisation des appellations ne saurait suffire et dispenser des autres éléments identitaires de la formation politique concernée. Il ne s'agit nullement de réquisitoire contre le parti politique en général. On ne met pas à l'index ces structures. Notre appréhension majeure est qu'elles s'adonnent plus à de l'exhibition politique sur la scène électorale en lieu et place d'une véritable intention de participer à la compétition annoncée pour le 24 juillet. (*Enseignant à l'ENA)