La Tunisie doit se préparer à tourner la page des années de plomb, pour envisager un avenir meilleur, en se réalisant en tant que peuple libre et démocratique, et réaliser le développement de toutes nos régions en cultivant et en insufflant l'esprit d'entreprise chez chaque Tunisien et Tunisienne. La question que nous aurons à nous poser, paraphrasant J.F. Kennedy, est: qu'est-ce que j'ai fait pour mon pays et non ce qu'il a fait pour moi ? Il nous faut un véritable changement des mentalités pour que l'homme tunisien devienne plus créatif et plus entreprenant. Pour la première fois de notre histoire, la Tunisie est notre, et nous l'aimons, c'est pourquoi nous devons la libérer d'une manière radicale des entraves du passé qui ralentissent son décollage. Nous sommes devant une situation inédite et exaltante qui nécessite l'engagement de toutes les forces vives du pays pour transcender les points de vue étroits et mettre au-dessus de tout et de tous l'intérêt général. Le Tunisien se surprend à ressentir plus de considération pour lui-même et pour ses compatriotes. Ça s'appelle la dignité retrouvée et la fierté d'être Tunisien. Les investigations sur les affaires de corruption doivent se poursuivre sans relâche, pour que la vérité, rien que la vérité soit rétablie. Nous avons un gouvernement provisoire qui a pour mission d'assurer la sécurité et de remettre le pays au travail, nous devons lui faire confiance en restant critique par le biais des médias et de la rue en attendant un contre-pouvoir institutionnalisé. Le plus urgent au cours de cette période transitoire est : a) d'assurer la sécurité b) de sauver l'économie c) de poursuivre les symboles de la corruption (appel du groupe des 25 avocats) d) mettre sous séquestre les biens des clans Ben Ali-Trabelsi en vue de leur restitution à l'Etat e) lancer des mandats d'arrêt internationaux à l'encontre du président déchu et des membres de sa famille impliqués dans les malversations. Nous souhaitons la mise en place d'un tribunal d'exception pour juger ceux qui ont nui ou trahi les intérêts de la nation. Ces mesures hardies et courageuses ouvriront la voie à la réconciliation nationale nécessaire pour relever tous les défis et continuer notre marche révolutionnaire vers l'avant. L'exemple de l'Afrique du Sud est très instructif à cet égard. Dans ce pays, le système de l'apartheid fut instauré en politique d'Etat de 1948 à 1992. Les Sud-Africains non Blancs se sont vu refuser les droits fondamentaux: la liberté de mouvement, de réunion, l'accès à l'éducation et à des soins décents… Entre 1960 et 1992, 200.000 Sud-Africains furent arrêtés, torturés, certains d'entre eux exécutés sommairement. Les sanctions internationales associées à la résistance héroïque des Sud-Africains noirs sous l'égide de l'ANC eurent raison de la politique de l'apartheid. En 1990, Nelson Mandela, chef de l'ANC, est libéré après 27 ans de détention. Le Parti national au pouvoir plaida pour une amnistie générale, l'ANC demanda aux officiers blancs un procès basé sur les mêmes règles que pour les nazis jugés au Tribunal de Nuremberg. Après de nouvelles négociations, le Parlement adopta la loi sur la promotion de l'unité nationale, qui a instauré la Commission Vérité et réconciliation; ce type de juridiction fut utilisé dans 25 pays où eurent lieu des troubles politiques, des répressions, des régimes dictatoriaux. Les commissions mises en place dans ces pays œuvrent dans un esprit de réconciliation. La commission présidée par Mgr Desmond Tutu, prix Nobel de la paix, fut chargée de recenser toutes les violations des droits de l'Homme commises au nom du gouvernement de l'Afrique du Sud et aussi au nom de l'ANC. Le principe directeur énoncé est que bénéficieraient d'une amnistie tous ceux qui viendraient devant la commission confesser leurs exactions, il s'agissait surtout des membres de la police. L'amnistie était soumise à deux conditions: a- Ne rien omettre de leurs crimes, b- Avoir agi sur ordre de leurs hiérarchies. Les victimes furent invitées à s'exprimer devant un forum afin de leur permettre de retrouver leur dignité. Quant aux auteurs d'exactions, ils furent appelés à avouer leurs forfaits et à se repentir devant les victimes. La réconciliation signifie l'interruption d'une dialectique action-réaction. L'interdiction de la vengeance signifie l'instauration d'un dialogue. La commission a siégé pendant deux ans. Sur 7.116 demandes d'admnistie, 1.312 furent accordées et 5.143 rejetées, elle a sans doute épargné un bain de sang à l'Afrique du Sud qui en est sortie grandie. La Tunisie, à l'instar des 25 pays en Amérique du Sud, au Maroc ainsi qu'au Timor Oriental, pourrait s'inspirer de cette expérience pour ramener l'apaisement dans le cœur de tous ceux et celles qui ont eu à souffrir de l'injustice et de la corruption. T.S. * (psychiatre)