Atteindre l'âge de 20 ans, c'est, pour beaucoup, un des premiers événements majeurs de l'existence. C'est une page qu'on tourne et une autre qui s'ouvre. Mais à 20 ans, on regarde plus devant soi que derrière soi ; on commence en effet à envisager l'avenir, à penser ses lendemains en une série de projets, à se fixer sur les études à suivre, à rêver d'un métier précis, voire même à penser au mariage et aux futurs enfants. Un homme se construit et une esquisse d'adulte s'élabore quand on a vingt ans. En posant nos questions à des jeunes qui, en 2010, auront cet âge, nous voulions justement savoir dans quel état d'esprit ils abordaient cette échéance imminente. Dans l'indifférence ? Avec optimisme et foi en l'avenir ? Ou bien avec des appréhensions et des angoisses ? Les réponses les plus récurrentes parmi celles que nous avons recueillies dénotent de la crainte plutôt que l'espérance et ce sont davantage les filles qui envisagent leur avenir avec sérénité. Nous avons également interrogé quelques parents pour connaître leur avis sur le regard qu'ils portent sur ces futurs adultes et sur le rôle que les familles peuvent jouer pour encadrer convenablement les jeunes et les préparer aux défis de demain. Un professeur du secondaire, en même temps conseiller à l'orientation, a en outre bien voulu répondre à nos questions et nous livrer ses impressions quant au profil que renvoie le jeune d'aujourd'hui.
L'emploi : une obsession pour tous ! Les plus angoissés parmi nos interlocuteurs jeunes s'inquiètent surtout pour leur avenir professionnel : Wassim, Jad, Yassine et Narimane ont tout de suite exprimé la crainte de ne pas trouver de travail après avoir terminé leurs études : " Quand on voit déjà que les diplômés d'aujourd'hui ont des difficultés pour se caser, il est tout à fait naturel de craindre que les chances de leurs cadets ne s'amenuisent considérablement. Chez nous, les études ne constituent pas vraiment une clé pour réussir ! ". Souhayl Hasnaoui est de leur avis et s'en prend aux enseignants qui, selon lui, ne s'investissent pas assez dans l'encadrement de leurs élèves : " Les études coûtent de plus en plus cher à nos parents et ne garantissent pas systématiquement des postes d'emploi aux jeunes. Personnellement, j'envisage mon avenir dans le football parce qu'il ouvre de larges horizons et surtout m'offre la perspective d'une carrière à l'étranger. J'ai peu de chances de réussir ma vie plus tard si je reste en Tunisie, néanmoins s'il est écrit que j'y reste, je rêve d'un poste de fonctionnaire dans une grande société. " L'idée de poursuivre sa carrière sportive à l'étranger a caressé aussi Yassine Rahmani (jeune boxeur), mais il préfère ne pas trop rêver : " La chance d'avoir un contrat professionnel à l'étranger ne peut sourire qu'à un nombre réduit de sportifs tunisiens. En ce qui me concerne, je me sens parfois spolié dans mes droits par certains responsables qui nous promettent monts et merveilles et ne tiennent pas leurs promesses ; chez nous, le professionnalisme n'est qu'un slogan en fait. Mais je suis croyant et je confie mon destin à Dieu. " Afef Brahim éprouve certes des craintes, mais ce qui lui fait le plus peur c'est l'examen du baccalauréat qu'elle passe l'année prochaine : " J'ai peur de m'y présenter dans de mauvaises conditions psychologiques. C'est primordial en effet de passer cette épreuve sans trop de pression ni de stress. Or, mon entourage immédiat risque de ne pas pouvoir réunir les conditions idéales en vue de cette échéance capitale. Pour ce qui est de mon avenir, je suis persuadée que la réussite aux études ouvre bien des portes devant les diplômés. Mon rêve est de devenir grande gestionnaire et pourquoi pas de diriger une importante entreprise. "
Ils veulent plus de liberté et d'indépendance L'ambiance au sein de la famille est pour les jeunes interrogés un souci supplémentaire dont ils se passeraient bien. Afef Brahim rêve d'un peu plus d'indépendance, d'une certaine liberté de penser que sa famille ne procure malheureusement pas. Yosri Riabi se plaint de l'incompréhension de ses parents qui, tout en étant relativement aisés, le privent d'argent de poche et de sorties : " Il arrive aussi qu'on me batte. Je ne pense pas qu'avec de tels agissements, ils feront de moi un homme. Quand j'essaie de les raisonner au hasard d'une discussion détendue, ils ne sont jamais convaincus par mes idées et les dénigrent presque systématiquement prétextant que je ne suis pas assez mûr pour réfléchir convenablement. ". Jad est quant à lui interdit de discussion à la maison, son père est violent avec lui et seule sa mère le défend quelquefois. Sonia Ben Ahmed est mieux lotie parce que ses résultats brillants au lycée lui ont fait acquérir un statut privilégié dans sa famille : " J'ai la chance d'avoir des parents cultivés et très compréhensifs qui m'ont toujours laissé une certaine liberté d'expression et d'action sans pour autant me permettre de tout dire ni de tout faire. C'est vrai que pour un jeune de 20 ans, ça représente quelque chose de pouvoir émettre son avis sur tout et d'être écouté et pris au sérieux. Je pense qu'à l'école et au lycée, on brime les adolescents plus qu'on ne les laisse parler et penser par eux-mêmes. Le gouvernement et la télévision font mieux en multipliant les forums et les débats libres. "
Préserver les jeunes contre la perdition Les enfants de M.Habib ont tous dépassé la vingtaine, mais en tant que gérant dans un café qui accueille tous les jours des dizaines d'adolescents, il se sent en mesure de juger avec justesse ces derniers : " Quand on a 20 ans et qu'on rentre ivre chez ses parents, ou qu'on passe toute la journée et une bonne partie de la nuit dehors, quand l'autorité des parents sur leurs enfants est réduite à néant, comment voulez-vous compter sur cette génération pour prendre la relève demain ? J'estime qu'à 20 ans, le jeune d'aujourd'hui est encore mineur et a besoin d'être dirigé par ses aînés. Surtout que de nos jours, les repères sont flous ou nuls pour les grands comme pour les petits. On doit en vouloir par contre aux éducateurs de tous bords de ne pas contribuer à la responsabilisation des jeunes de 20 ans et plus. A la maison, à l'école, dans la rue, partout quoi, un laisser-aller total fait craindre le pire pour les années à venir. Vous me dites qu'il y a une chance que l'année 2010 soit décrétée année internationale de la jeunesse. Ce sera aussi une bonne opportunité pour les adultes afin qu'ils dressent le bilan de 20 ans d'éducation, ou plutôt de mauvaise éducation. Je suis pessimiste au sujet de l'avenir des jeunes qui sont issus de familles modestes. L'Etat doit à mon avis leur offrir plus de perspectives d'avenir. Ils sont exposés plus que tous les autres à la délinquance, à la criminalité, à la marginalisation, en un mot à la perdition. ".
Il n'y aura plus de sacrifiés Pour Abderraouf (fonctionnaire), il ne faut pas dramatiser. Ceux qui auront entre 20 et 30 ans d'ici l'an 2015, ne doivent pas désespérer parce que la politique actuelle en Tunisie privilégie l'adéquation entre la formation et le marché de l'emploi. Les années 90 et le début de ce siècle ont vu plusieurs diplômés rester longtemps au chômage ; ce sont malheureusement les victimes d'une stratégie insuffisamment étudiée. Mais je pense qu'il y aura moins de sacrifiés de ce genre à l'avenir pourvu que la conjoncture mondiale et locale nous soit favorable. Le pessimisme qui prévaut en ce moment est compréhensible mais il faut garder l'espoir, ne serait-ce que pour relever le moral de nos jeunes ! "
Qui faut-il responsabiliser : les grands ou les petits ? En conversant avec M.Nabil Ben Hélal (professeur de français et conseiller en orientation), nous n'avons pas ressenti l'optimisme de Abderraouf le gagner. Pour cet enseignant de 36 ans, les jeunes appréhendent désormais autrement leur avenir : " Ce n'est pas l'école qui leur délivrera les clés de la réussite sociale. L'établissement scolaire, ils y viennent parce qu'ils n'ont pas le choix, c'est ce qui en a fait une vaste garderie pour les moins de 20 ans. Passé cet âge, on rêve de la fortune facile que pourrait procurer l'émigration vers d'autres cieux, ou que miroitent certaines émissions de télévision et des jeux divers comme le Promosport. Vous vous rendez compte de ce changement de paramètres en les voyant se désintéresser complètement de vos conseils en matière d'orientation universitaire. Nous aimerions bien leur inculquer les bonnes valeurs, mais l'influence de l'environnement extrascolaire est plus forte. Quant à leurs familles, elles ne favorisent que très rarement leur épanouissement. Les parents que nous invitons aux réunions régulières tenues au lycée manquent souvent à l'appel pour des raisons multiples. Comment voulez-vous après cela responsabiliser leur progéniture ! "