Il s'agit d'envoyer à l'Assemblée constituante une majorité conforme à la Tunisie réelle, un pays moderniste ayant investi dans l'éducation de sa jeunesse plus de 30% de son budget national dès le début de l'indépendance. Un pays qui a édicté le Code du statut personnel, le contrôle des naissances et où la femme tunisienne s'est libérée pour devenir, au même titre que l'homme, un acteur à part entière. Ici, le pays marche sur ses deux pieds et je ne veux pas le voir estropié. Il serait faux de croire que ce modernisme n'est cher que pour les élites sociales de la capitale. Les couches sociales défavorisées et marginalisées ne sont pas obscurantistes comme certains l'affirment. Elles souhaitent légitimement profiter des retombées du modernisme et ces retombées s'appellent : développement régional, équipements sociaux, emploi, santé, éducation, respect des droits humains… Ce sont là les mots d'ordre de la révolution tunisienne. Or, jusqu'à présent, le modernisme n'a profité qu'aux régions côtières… et c'est à une redistribution régionale équitable qu'il faudra procéder et non pas à une prétendue bienfaisance des riches envers les pauvres, qu'il s'agisse d'une bienfaisance religieuse ou laïque… C'est comme cela que les droits de l'Homme s'accorderont avec les droits sociaux. Je veux que notre nouvelle Constitution propose un cadre juridique qui affirme et protège les idéaux pour lesquels le peuple tunisien s'est soulevé : la liberté, la démocratie, la justice, le droit social, la dignité, l'alternance au pouvoir, la neutralité de l'administration, la fin du parti-Etat et de la corruption, etc. Telle est la signification fondamentale de la révolution tunisienne. Cette dernière a d'abord et avant tout constitué une expérience pratique de la souveraineté populaire qui a chassé un dictateur et qui va permettre l'émergence d'un corps électoral réel. Il s'agit là d'une expérience politique fondamentale et nouvelle dans l'aire arabo-musulmane comme l'a dit Mohamed Talbi dans l'interview qu'il a accordée au journal La Presse daté du 21 avril 2011. Ainsi, les prochaines élections désigneront-elles les députés qui ne seront pas mandatés uniquement pour porter au pouvoir un exécutif que la prochaine échéance électorale sanctionnera ou reconduira au pouvoir. Leur mission principale résidera dans la rédaction du texte constitutionnel qui réglera la vie des Tunisiens, pour une période s'étalant sur plusieurs générations. De ceux qui nous représenteront dans cette Assemblée dépendra la nature de la Loi fondamentale. Régime démocratique ou autoritaire et pourquoi pas dictatorial. Une Tunisie moderniste ouverte sur le monde pour recueillir et faire fructifier au profit de notre peuple et des générations futures ce que l'humanité, dans sa diversité, a produit de meilleur ou bien une Tunisie conservatrice, obscurantiste tournée vers le passé. Le Tunisien jouira-t-il des libertés individuelles inscrites dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme, sera-t-il libre de penser et de s'exprimer ou bien sera-t-il soumis à la censure «des bien-pensants» et harcelé par un dictateur du type Ben Ali ou une police religieuse de type saoudien, iranien ou taliban qui lui imposera ce qu'il doit faire et ce à quoi il doit croire ou ne pas croire, ce qu'il doit lire et ne pas lire, ce qu'il doit penser ou ne pas penser ? Je refuse que mon pays soit une prison à ciel ouvert. Non, l'alternative n'est pas entre la dictature de Ben Ali et celle des islamistes comme voulaient nous le faire croire, pendant plus de 23 ans, le président déchu et ses protecteurs et alliés internationaux ! Un Etat démocratique est possible Cinquante ans de dictature dont 23 ans de prédation ont laissé les nerfs des Tunisiens à fleur de peau et fait naître un désir de vengeance compréhensible. Les travaux de la Commission nationale d'établissement des faits sur les affaires de malversation et de corruption dont se sont rendus coupables le président déchu, sa famille, ses belles-familles et les responsables au niveau de l'Etat et du RCD suivent leur cours. Laissons ce travail s'accomplir avec la précision qui se doit, laissons la justice avancer selon les normes internationales et n'oublions pas que l'un des buts de la Révolution, c'est l'émergence d'une justice indépendante du pouvoir exécutif. La passion et les émotions sont mauvaises conseillères et ces dernières continueront à s'exprimer tant que la légitimité des nouveaux pouvoirs publics ne sera pas fondée dans la souveraineté populaire. La future Constituante sera une étape importante dans la construction de la légitimité politique en Tunisie. Un Etat démocratique et moderne garantissant la liberté de tous est possible; c'est là que réside la solution et nulle part ailleurs. Et ce sont les bases de cet Etat que la nouvelle Constitution doit jeter. La Révolution tunisienne est profondément politique et sociale et les mots d'ordre qui l'ont accompagnée revendiquaient la liberté, la démocratie, la dignité par le travail, un développement équitable entre les régions, l'égalité des citoyens devant la justice. Du 17 décembre 2010, date à laquelle Mohamed Bouazizi s'est immolé par le feu pour protester contre l'infamie d'un régime mafieux, et le 14 janvier 2011, date de la fuite du général démis, nous n'avons vu ou entendu aucun slogan appelant à la constitution d'une République islamiste. Il faut rappeler que la Révolution tunisienne s'est déclenchée d'une façon spontanée; elle n'avait pas de direction politique et n'a toujours pas donné naissance à une nouvelle élite politique. Que faut-il faire dans ces conditions ? Il faut rester fidèle à l'esprit et aux objectifs de cette Révolution. Cela nécessite de rassembler, sans exclusive et sans calculs politiciens, toutes les composantes politiques, sociales et celles de la société civile qui œuvrent ou ont œuvré par le passé dans ce sens. C'est là la condition sine qua non pour barrer la route au retour à la dictature ou à la domination de notre société par les forces obscures du passé. Le courage politique consiste à affirmer clairement qu'outre la garde rapprochée, politique et sécuritaire de Ben Ali et ses belles-familles, outres ceux qui prônent un Etat islamiste en se proclamant démocrates, tous les Tunisiens doivent, en ce moment critique de notre histoire, se donner la main pour offrir au pays une Constitution moderniste digne du sacrifice de nos martyrs, digne de la richesse de notre présent et notre passé multiculturels. L'heure n'est pas à la compétition entre les divers programmes politiques. J'invite les jeunes, les femmes et hommes libres, les syndicats, le patronat, les Initiatives citoyennes que nous avons vues fleurir, les militants des droits de l'Homme, les Femmes démocrates, les militantes honnêtes de l'Unft, le PDP, Ettajdid, le Fdtl, les Bourguibistes, les Rcédistes honnêtes et ils sont légion, le Congrès pour la République, le Poct et tous les démocrates à unir leurs efforts pour le triomphe d'une Constitution moderniste à l'image de la modernité de notre pays. C'est là que réside réellement la tâche du moment. Une fois cette étape cruciale couronnée de succès, la compétition loyale entre les partis politiques peut et doit, dans l'intérêt de la démocratie et du progrès économique et social du pays, reprendre son cours normal. Telles sont les conditions pour que la nouvelle République issue des urnes soit celle de tous les Tunisiens dans leur diversité. Ils y seront libres de s'organiser et d'exprimer paisiblement leurs opinions dans tous les domaines. La pérennité de cet équilibre suppose par ailleurs que les comportements violents et les atteintes à la vie privée d'autrui, d'où qu'ils viennent, soient définitivement bannis et lourdement sanctionnés par la loi. La démocratie est un long apprentissage, elle suppose un engagement désintéressé et un esprit de responsabilité aigu. Sur ce chemin ardu, les erreurs ne manqueront pas. Soyons tolérants et vigilants à la fois; mais, ne reculons pas devant l'effort, il en va de l'avenir de notre jeunesse et de celui de notre chère Tunisie. J.S. *(Directeur d'entreprise)