Le colloque «Rôle des syndicats dans la transition démocratique», organisé hier à Tunis par l'Ugtt et les grandes centrales syndicales espagnoles Ccoo et UGT, a donné aux syndicalistes tunisiens l'occasion d'analyser les problématiques de la transition tunisienne à l'aune des transformations historiques qu'a vécues l'Espagne post-franquiste. Introduisant la manifestation, le secrétaire général de la centrale syndicale tunisienne, M. Abdessalem Jrad, s'est adressé à «ceux qui nient le rôle politique revenant à l'Ugtt et sa participation à la révolution», pour souligner qu'elle est une force garantissant la stabilité du pays et son progrès, avec la liberté, la dignité et la justice sociale. Et comme sur cette lancée, le premier conférencier espagnol, M. Ignacio Fernandez Toxo, a expliqué que la force de pulsion de la révolution, en Tunisie comme en Espagne, a été syndicale, «même si l'histoire s'écrit d'une autre façon». Indiquant que le chômage des jeunes espagnols atteint aujourd'hui les 40%, le secrétaire général de la Ccoo attribue cet état de fait à la crise financière et économique mondiale et à celle sous-jacente des modèles économiques. Et si cette situation n'a pas conduit à une explosion dans son pays, c'est grâce à une tradition de dialogue et au réseau de protection sociale répondant aux besoins de la population, mis en place dans ce cadre. Car la transition exige l'établissement d'un lien solide entre la démocratie qui se met en place et les réseaux de protection. Or c'est le syndicalisme qui exprime les préoccupations du monde du travail : pouvoir d'achat, chômage, protection sociale, santé publique, enfance prise en charge… De même, les politiques fiscales sont essentielles. En fait, les conquêtes sociales peuvent être totalement laminées par une mauvaise fiscalité, ou encore par l'inflation ou une mauvaise répartition de la croissance. D'où l'importance d'une stricte autonomie des syndicats. De son côté, M. Candido Mendez a insisté sur l'importance stratégique du Maghreb uni dans la promotion économique, et donc sociale, de la Tunisie et des autres pays appelés à en faire partie. Il a indiqué que la révolution tunisienne et l'évolution vers une Constitution démocratique prouvent que le monde arabe, dont les masses bougent et s'imposent sur le terrain de la souveraineté populaire, vient de démontrer qu'il est parfaitement ouvert à la démocratie, tout comme l'Espagne a démenti, à l'époque, ce que l'on affirmait à son propos. Le conférencier a identifié quatre grandes problématiques de la transition : la question territoriale, l'armée, la question sociale et la place de la religion. Les militaires tunisiens ont refusé de tirer sur le peuple et ont donc aidé la révolution. Le problème des régions a été résolu en Espagne par une décentralisation presque fédérale comme en Allemagne. M. Antonio Coteriz, ex-secrétaire général des Commissions ouvrières et actuel président de la commission économique du Congrès espagnol, a d'emblée lancé : «Nous sommes fiers de notre modèle de transition à la démocratie». Ajoutant que l'humilité interdit d'en faire un modèle pour tous les pays, mais «l'humanité a évolué grâce au partage des idées, du savoir et des richesses». La démocratie, explique-t-il, n'est pas un produit prêt à l'emploi. «Il faut tout vérifier et revérifier à chaque instant, dans la pratique, sur le terrain. Nous avons beaucoup appris de vous Tunisiens : une démocratie sans s'entretuer, sans guerre civile…». Dans la transition espagnole, a-t-il expliqué, les syndicats ont joué le rôle de catalyseur des mouvements sociaux, des étudiants, des intellectuels… et ont formé une alliance avec les patrons modernes qui voulaient moderniser l'économie et le pays, et les ouvrir sur l'extérieur. En plus de la défense des intérêts des travailleurs. Ce qui a conduit à une véritable agglutination des forces démocratiques. Dernier conférencier espagnol, M. José Zofiar a expliqué que «la transition démocratique espagnole n'est pas un produit fini que nous avions préparé à l'avance. C'est la synthèse de l'interaction des rôles joués par les forces sociales et politiques dans le processus de transition». Mais l'orateur de souligner que «la démocratie espagnole ne peut pas s'expliquer sans le rôle social des syndicats», notamment face à la crise économique. Les syndicats ont su mettre en évidence le rôle des structures démocratiques modernes dans la réponse aux exigence de modernisation et d'ouverture de l'économie et du pays tout entier. Et c'est à travers la grande solidarité des citoyens que l'Espagne a pu développer son économie puis intégrer l'Union européenne. Les interventions des cadres syndicalistes tunisiens, suivies d'un riche débat dans la salle, ont donné l'occasion à MM. Ali Romdhane, Belgacem Ayari, Mohamed Mselmi et Mustapha Ben Ahmed pour confirmer le rôle joué par l'Ugtt dans la dynamisation du processus révolutionnaire dans notre pays et mis en exergue son importance en tant que contre-pouvoir et que garantie de la stabilité du pays et de la promotion sociale des travailleurs et de tous les citoyens, quelle que soit la composition de la prochaine Assemblée nationale constituante. Mais il semble nécessaire de restructurer la centrale et de clarifier son positionnement national, tout en y renforçant la démocratie et en en modernisant les méthodes, maintenant qu'il est question de se mouvoir dans un environnement pluraliste au niveau aussi bien partisan que syndical. S'agissant de l'attitude de l'Ugtt lors des élections du 24 juillet prochain, elle pourrait prendre trois formes possibles : soit participer à un front progressiste, soit se présenter elle-même aux élections, soit encore participer dans des listes de candidats indépendants.