La Task Force «Marketing» mise en place par le ministère du Commerce et du Tourisme planche ces jours-ci sur les stratégies à mettre en œuvre pour sauver ce qui peut encore l'être de la prochaine haute saison touristique. Des cadres administratifs peu habitués aux techniques de communication de crise, des représentants protocolaires ou aigris et peu inspirés de la profession et deux retraités bénévoles y participent avec plus ou moins de régularité et de conviction. Les moyens budgétaires consacrés à la relance sont conséquents et se comptent en dizaines de millions de dinars. La réflexion a souvent porté sur l'opportunité de dépenser autant d'argent alors que les conditions sécuritaires du pays ne sont pas encore durablement assurées, que les restrictions de voyages des autorités des pays émetteurs ne sont pas entièrement levées et que les principales vagues de réservations pré-estivales appartiennent déjà au passé. Si la situation dans les marchés hyperstructurés de typologie nordique est quasiment «consommée» et que les dés y sont quasiment jetés, les marchés dits de typologie latine présentent encore quelques fonds de tiroirs de réservations last-minute à racler. Sur ces derniers marchés, l'engagement d'actions publicitaires ne doit s'opérer qu'à la stricte condition que l'actualité sécuritaire nationale et libyenne ne connaisse pas d'évolution vers le pire. Et pour ne pas succomber à un climat de sinistrose stérile, l'on se met à rêver de marchés de substitution ou de complément: un marché national touché de plein fouet par un manque évident de visibilité et une érosion visible du pouvoir d'achat, un marché libyen bien malade, qui ne viendra pas refaire le bonheur de nos cliniques et de nos centres de bien-être et un marché algérien dont le silence assourdissant, quant à notre révolution ajoute à la confusion et nous laisse perplexes. Regardons de plus près ce marché algérien qui devrait normalement se comporter mieux que tout autre. Les Algériens ont toujours figuré dans le peloton de tête des marchés générant plus d'un million d'entrées touristiques annuelles. Certes, leurs nuitées hôtelières ne sont pas encore en rapport avec le nombre de leurs entrées, mais leur effet économique diffus est indéniable. De ce fait, et grâce à leurs dépenses extra-hôtelières, ils jouent un rôle appréciable dans la dynamique de développement régional. De plus, le flux touristique algérien, actuellement plutôt subi que provoqué ne nous a rien coûté ou presque rien en investissement promotionnel et publicitaire. Côté demande de produits et particulièrement en matière d'hébergement, les visiteurs algériens affichent une nette préférence pour les formules para-hôtelières et les locations résidentielles. En outre, les marchés voisins algériens et libyens ont toujours joué le rôle d'espaces stratégiques de régulation et de compensation, en cas de crise sur les marchés européens traditionnels. Exactement à l'image du tourisme intérieur, avec lequel ils ont plus d'un aspect en commun: caractéristiques matérielles et psychologiques de la demande, saisonnalité, attentes, modalités d'organisation de voyages, déplacements par voies de surface…etc. Aujourd'hui, plutôt spontané et peu organisé au sens européen du terme, le consommateur algérien, grâce à l'amélioration constante et rapide de son niveau de vie, connaîtra très bientôt des mutations profondes qui susciteront l'appétit et les sollicitations des destinations concurrentes. Alors, pour garder et développer l'acquis, il importe de profiter du niveau de pénétration atteint et d'élaborer des stratégies promotionnelles et commerciales plus volontaristes, orientées vers trois directions : Production Les autorités touristiques devraient engager des actions de contrôle rigoureux de l'hébergement para-hôtelier et extra-hôtelier dans le souci de protéger le client actuel et de construire une image de qualité crédible et durable, capable de motiver davantage de clients potentiels. L'Algérie est un marché où la composante aérienne est très secondaire et où la voiture reste le moyen de transport préféré. A cet effet, une mise à niveau urgente et totale devra concerner les points d'accueil aux frontières (installations climatisées, sanitaires avec douches, salons pour familles avec enfants, buvettes, petits commerces, aires de jeux, infirmerie, restaurants, magasins d'artisanat), ainsi que la fluidité des passages. Il n'y aurait plus de raisons que le confort des postes frontaliers terrestres soit moindre que celui des postes aériens ou maritimes. Une diversification des modes de transport terrestre peut également s'opérer en encourageant l'Autocarisme, qu'il soit effectué par des opérateurs tunisiens ou algériens, avec ou sans transbordement aux frontières. L'établissement d'une ligne maritime régulière entre Alger et Tunis est une «piste» qui mérite également d'être explorée. Enfin, connaissant l'engouement des touristes algériens pour les formules d'hébergement résidentiel non hôtelier, il sera utile de penser à développer des projets de résidences de vacances locatives avec ou sans accès à la propriété. Commercialisation Le tour operating classique à l'européenne existe, certes, en Algérie mais il concerne une faible part de la catégorie des vacanciers. Par contre, il est possible de programmer des séjours où des algériens de France et d'Europe (et ils se comptent par millions) achèteraient des forfaits avec transport pour eux et d'autres, sans transport pour des membres de leurs familles qui viendraient en voiture d'Algérie. Cette triangulation qui favorise les regroupements familiaux serait particulièrement adaptée aux besoins de certaines catégories d'expatriés algériens qui ne peuvent, pour des raisons historiques, voyager dans leur pays d'origine. En outre, l'ouverture de succursales d'agences de voyages tunisiennes ou de groupements hôteliers dans les grandes villes algériennes, avec ou sans partenariat Tuniso-algérien, permettrait de pérenniser la pénétration commerciale sur ce marché et d'améliorer la visibilité commerciale de la destination. Communication Si sur d'autres marchés européens on a pu se convaincre qu'une campagne de communication institutionnelle pouvait neutraliser les sentiments de peur des clients potentiels et les orienter vers les agences de distribution, il n'en va pas de même du marché algérien. Ce dernier, étant on ne peut plus proche, se trouve constamment irrigué par les mêmes chaînes de Radio et de télé, dont Nessma TV, et de ce fait, connaît nos réalités et notre vie quotidienne autant et aussi bien que nous-mêmes. Les atouts touristiques en termes de confort hôtelier, de festivals, de shopping, de richesses culturelles et d'animation estivale ne lui sont pas étrangères et ne méritent pas qu'on les lui ressasse par le biais d'une campagne publicitaire classique. De même, compte tenu de la susceptibilité de nos amis algériens, il serait maladroit de faire campagne pour une «Tunisie nouvelle, fière de sa dignité retrouvée, de sa révolution et de ses nouveaux espaces de liberté». Ils y trouveraient des allusions qui ne manqueraient pas de titiller leur amour-propre et d'agacer leur légendaire égo. A cet effet et au lieu de gaspiller le budget dans une campagne publicitaire institutionnelle classique, convient-il ,à mon humble avis, d'orienter les dépenses vers des actions d'amélioration réelles des conditions d'accueil aux frontières, de stimulation à l'implantation d'agences tunisiennes sur le marché, de soutien aux campagnes commerciales initiées par des opérateurs touristiques tunisiens et des agences immobilières, et d'organisation d'événements d'animation à grande portée médiatique : rencontre amicale de football entre les deux équipes nationales à Alger avec retransmission télévisée Live dans les deux pays, grand Festival de rap et de rai retransmis en duplex sur les tv respectives des deux pays, organisation de jeux télévisés avec offre de prix sous forme de séjours et d'articles de l'artisanat, reportages multimédias, concours SMS, organisation de caravanes …etc Tout cet investissement servira au moins à endiguer une éventuelle baisse et à préparer l'avenir, car on ne doit pas perdre de vue que la conjoncture traversée par notre pays n'autorise pas de faux ou de fous espoirs, d'autant plus que Ramadan qui survient en plein mois d'août n'incite pas vraiment la clientèle algérienne à partir en vacances à l'étranger. Les chiffres enregistrés, l'été dernier ont été suffisamment édifiants à cet égard. Alors, ce marché algérien est-il une roue de secours ou une bouée de sauvetage? S'il s'agit d'une roue de secours, il faut constamment la vérifier pour qu'elle soit constamment viable et opérationnelle. S'il s'agit d'une bouée de secours, il convient de bien la gonfler avant de s'y agripper. Roue de secours si on estime que la crise du tourisme tunisien n'est qu'une simple crevaison de parcours. Bouée de sauvetage, si on croit que le bateau du tourisme tunisien s'est laissé fracasser contre les récifs acérés d'une conjoncture improbable. Dans les deux cas, il faudra faire provision de rustines…et de patience.