● Pour absence voulue de transparence et de vérité, l'attentat de Jerba, du 11 avril 2002 a coûté à la Tunisie la perte de 50% des touristes allemands ● L'image d'un pays peu respectueux des droits de l'Homme a gravement sanctionné le tourisme tunisien ● Des choix fondamentaux seront pris pour promouvoir le secteur Le tourisme tunisien passe par une période difficile… Ce n'est pas un verdict ou une sentence… Encore moins une vue de l'esprit… C'est tout simplement un constat. A telle enseigne que le dossier du secteur et des difficultés qu'il traverse en ces débuts de l'année 2011 occupe une bonne place dans l'ordre des priorités du gouvernement. Cela va de soi quand on sait le rôle joué par ce secteur dans l'ensemble des composantes économiques de la Tunisie aussi bien en termes d'emploi que d'apport en devises… D'ailleurs, plusieurs initiatives, conjuguées à d'autres grands efforts déployés à l'intérieur et à l'extérieur du pays, ont été entreprises par les responsables du secteur pour lui venir en aide et amortir, autant que possible, les effets négatifs d'une année pourtant prometteuse et qui a apporté, depuis ses débuts, un raz de marée de liberté et de prémices de démocratie. Pour voir plus clair et pouvoir faire une lecture sereine et objective du secteur, à l'aube d'une période de haute saison (juin-septembre) qui se veut récupératrice, «l'Expert» a jugé utile de s'entretenir avec Monsieur Habib Ammar, Directeur Général de l'ONTT qui a bien voulu apporter sa contribution en tant que professionnel et répondre à nos questions.
Contrairement à l'usage, notre première question est toute crue: Comment envisagez-vous le comportement du secteur touristique en pleine opération des premières élections démocratiques en Tunisie et qui coïnciderait avec le pic saisonnier du tourisme?
En effet, il s'agit là d'un scénario auquel nous nous préparons. Il me parait tout d'abord important de souligner que le mois de juillet, bien qu'il constitue une période de haute saison en termes d'affluence de touristes, va constituer aussi le premier rendez-vous historique pour lequel toute la Tunisie se prépare, à savoir les premières élections libres et démocratiques pour mettre en place une Assemblée Constituante... Il est vrai aussi que cette nouvelle dynamique et ce nouveau paysage politique varié, diversifié et en mouvement, nécessitent une prise en charge sécuritaire à la mesure de l'événement et touchant l'ensemble des institutions et des biens dont, entre autres, les établissements hôteliers et touristiques… Pour l'expérience exaltante que vivra la Tunisie le 24 juillet prochain, les touristes présents parmi nous à cette date auront le sublime privilège d'avoir participé sur place et en direct à la campagne de cueillette des premiers fruits que la Révolution tunisienne aura fourni… Cela est en lui-même un slogan touristique porteur…
Les résultats des quatre premiers mois de l'année 2011 sont en effet imputés à la Révolution et à une situation exceptionnelle de précarité sécuritaire. Quelle stratégie préconise-t-on pour le secteur?
Nous vivons depuis le 14 janvier 2011 des circonstances exceptionnelles à tous les niveaux… Le secteur du tourisme n'y a pas échappé… Plus même, il a été le premier touché… Une stratégie d'attaque à court terme vient d'être adoptée sous plusieurs formes et plusieurs nouvelles approches afin de «sauver ce qui peut être sauvé de la saison» comme on le dit, même dans le jargon sportif… Nous nous sommes fixé un objectif d'urgence, à savoir: dépasser la crise, atténuer largement ses effets négatifs et remettre nos pendules du tourisme à l'heure… D'autre part, sur le moyen et long termes, la crise actuelle est venue sonner le glas d' une décennie de marginalisation du secteur par les autorités politiques du pays… Le secteur a surtout besoin d'une volonté politique claire et tranchante quant à la stratégie globale le concernant… Les professionnels agiront en conséquence et apporteront leur métier et leurs compétences pour transformer cette stratégie en actions pratiques et concrètes… Le secteur touristique en Tunisie a connu des étranglements et des déviations malheureux parce qu'il obéissait à une seule source d'ordre strictement politique. L'un des handicaps du secteur pendant 10 ans a été le caractère inapproprié des procédures administratives en sus de leur multiplicité… Des accords et des permis pour lancer un projet touristique qui nécessitent l'aval de pas moins de quatre ministères avec tout ce que cela induit comme perte de temps et de lenteur dans la réalisation des investissements touristiques quelque soit leur nature faisant souvent fuir des investisseurs pourtant intéressés au départ… Remédier à ce genre de lacunes et traiter rapidement ces faiblesses doit constituer l'un des premiers chantiers à ouvrir pour développer le secteur et lui donner la place qui lui revient dans l'économie nationale. Il est important aussi de ne pas passer sous silence qu'un autre élément a joué négativement dans le développement du tourisme, à savoir l'image peu reluisante auprès des Européens d'une Tunisie peu scrupuleuse politiquement des libertés et des droits de l'Homme… Cela a beaucoup handicapé nos efforts de marketing touristique… Je suis convaincu qu'actuellement les choses vont changer dans le bon sens avec une communication libre et authentique avec le monde, dans une transparence totale… D'ailleurs, faut-il encore le rappeler, à titre d'exemple, que la crédibilité de la Tunisie a été largement entamée un certain 11 avril 2002, date de l'attentat à l'explosif perpétré à Jerba contre une synagogue et qui a fait des morts allemands en particulier… Les premières informations fournies par les autorités politiques à cette date ont été tellement erronées, évasives et trompeuses que l'on a fini par perdre 50% du marché allemand qui il faut le rappeler a été pendant des années notre premier marché et celui qui a joué un rôle décisif dans la croissance du secteur touristique en Tunisie. Beaucoup reste à faire pour reconquérir ce marché stratégique et cela passe inéluctablement par le rétablissement de la confiance avec nos partenaires allemands.
Dans un paysage où les intervenants paraissent nombreux, et à leur tête le ministère, quel est le rôle de l'ONTT?
Historiquement, la création de l'ONTT a précédé celle du ministère de tutelle…C'est la raison pour laquelle cet office qui date de plus de quarante ans a été structuré comme une entité chargé de la création d'un secteur économique à partir de zéro ou presque. Ainsi, l'ONTT supervise les opérations de financement et de marketing du secteur en s'appuyant sur 17 représentations à l'étranger. Outre sa mission d'étudier et de délivrer les agréments des investissements touristiques, l'ONTT contrôle également la qualité du produit touristique (inspection, classement des établissements touristiques) et ce en s'appuyant sur ses 20 commissariats régionaux. Enfin , l'ONTT est responsable de la formation des ressources humaines du secteur avec ses 8 centres de formation répartis sur les différentes stations touristiques.
Le Ministère de tutelle est quant à lui responsable des orientations stratégiques du secteur et veille à leur bonne application par l'ONTT.
Quelle est la position de l'ONTT face aux opérations de bradage des prix que les professionnels adoptent?
Vous soulevez un point extrêmement délicat. En effet, l'Etat ayant opté depuis des années pour la libéralisation des prix se trouve dans l'impossibilité d'intervenir dans la fixation des prix qui est du ressort exclusif des professionnels eux-mêmes. Toutefois, il faut rappeler que le niveau des prix pratiqués est un élément fondamental dans l'image d'une destination c'est pourquoi l'Etat ne cesse de sensibiliser les professionnels de pratiquer un niveau de prix qui ne nuit pas à l'image de notre destination. Pour sa part l'ONTT agit indirectement sur les prix à travers des inspections minutieuses sur la qualité des prestations fournies par les unités qui pratiquent des prix anormalement bas. En conclusion, ce problème fait appel à la responsabilité de chacun car brader une unité hôtelière contribue à dévaloriser l'image de tout un pays.
Quelles seraient vos priorités vis-à-vis des professionnels du secteur, notamment dans le contexte actuel exceptionnel et suite aux mesures conjoncturelles annoncées par le ministre?
Notre première mission, dans le contexte difficile actuel est d'être aux côtés des professionnels du secteur… Les accompagner et les aider à dépasser la crise me paraît s'inscrire dans notre mission… Dans ce cadre, plusieurs actions et mesures d'urgence ont été entamées en leur faveur telles que notre démarche auprès de la Banque Centrale pour la facilitation des opérations les concernant en matière de paiement des salaires et la sauvegarde des postes d'emploi… On est intervenu aussi auprès de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale pour leur accorder des facilités de paiement des cotisations ainsi qu'auprès de la STEG et de la SONEDE dont les factures de consommation constituent une charge notable qui pèse sur les budgets des unités hôtelières et touristiques. Mais, au terme de cette crise, tout le dossier des créances et de l'endettement du secteur sera ouvert et traité avec rigueur… Est-il nécessaire de souligner que 12% des hôtels tunisiens souffrent de situation difficile, parfois même désespérée financièrement parlant. Le reste est gérable et traitable, surtout quand les banques veulent bien assumer leur rôle… Dans le monde des professionnels du tourisme, très nombreux sont ceux qui ont réussi le pari de développer le secteur, même si d'autres expériences ont échoué et entamé la solidité du secteur.
Quel plan pour développer le produit touristique?
Reconnaissons que le tourisme balnéaire a toujours constitué le produit-phare sur tous les autres produits… C'est un choix qui a été fait tout au début de la création de ce secteur durant les années 60. Ce choix a été dicté par la demande internationale qui était portée essentiellement vers la plage et le soleil ; et ceci est toujours vrai aujourd'hui. Seulement, à partir de la fin des années 90, la concurrence s'est faite rude sur ce créneau dont la rentabilité a commencé à décliner… Le tourisme saharien est venu à la rescousse, mais beaucoup reste à faire pour ce produit qui a besoin d'être renforcé, enrichi et varié pour en faire un produit complet à part entière… Le tourisme culturel est appelé plus que jamais à être sérieusement pris en main pour exprimer et refléter une histoire de 3.000 ans, pleine et riche… Reconnaissons aussi que nous avons sous-évalué une autre forme de tourisme qui concerne directement les régions et leurs spécificités… Des produits touristiques à haute valeur ajoutée pourraient être développés dans les régions intérieures du pays et créer ainsi de nombreux postes d'emploi. Dans ce même ordre d'idées, il faudrait activer et dynamiser le tourisme écologique, le tourisme des auberges, le tourisme du golf qui demeure encore assez faible avec ses 10 terrains seulement.
Que préconisez-vous pour la clientèle libyenne et algérienne dans le cadre de la dynamisation du secteur?
Avec nos frères libyens et algériens, nous sommes dans une autre logique et donc nous devons nous placer dans une stratégie totalement différente à celle destinée aux autres marchés… Tout d'abord, une stratégie de communication particulière qui tient compte de leurs spécificités en termes d'hébergement, de lieux de vacances et de la nature du produit proposé… Le marché algérien nous intéresse à plus d'un titre… Des crédits importants ont été engagés pour faire un «forcing» en Algérie. Pour le tourisme des jeunes, les insuffisances restent nombreuses telles que l'adaptabilité des maisons des jeunes, leur aménagement, les aires de camping des jeunes, toute une infrastructure à mettre en place et qui contribuera à un véritable «boom» d'un tourisme très particulier et très prometteur.
A la fin, qu'en est-il de la clientèle tunisienne?
Je suis parmi ceux qui croient que l'on ne peut avoir un tourisme florissant et développé sans un tourisme intérieur structuré et organisé, à l'image de plusieurs autres pays développés qui accordent une importance capitale à ce marché…Le développement du tourisme local passe avant tout par une révision en profondeur de notre politique d'investissement touristique en l'orientant vers des modes d'hébergement qui répondent aux attentes du tunisien et qui s'adaptent avec son pouvoir d'achat qui est nettement différent du touriste européen