Par Fredj GRINA Voilà déjà bientôt quatre mois que les Tunisiens respirent la liberté qu'ils avaient tant espérée, et pour laquelle ils avaient payé un lourd tribut. Des jeunes, dépourvus de toute influence, osèrent briser la citadelle d'un dictateur des temps modernes, sans âge ni visage, qui disait plus qu'il n'en faisait, et ne disait pas tout ce qu'il faisait. Accaparé par l'occupation la plus détestable qui fût, il débitait de temps à autre quelques discours et peu de promesses pour épater la galerie mais sans la moindre perspective de s'en acquitter, comme sa perpétuité au pouvoir. Une imposture, dont l'inconduite était notoire, accoutumait la société à la débauche et acclimatait la corruption à toutes les filières économiques et administratives, aussi névralgiques soient-elles, comme la douane. Ainsi, le vice engendra l'indigence morale qui à son tour faisait naître de nouvelles formes de vice. Une prolifération colossale de la perversion pourvoyait à la «famille régnante» le cynisme d'accaparer outrageusement les richesses du pays en cédant des miettes à leur cortège de proximité et aux courtisans de la propagande afin d'exploiter leur allégeance et perdurer. La petite lucarne nous a distillé des témoignages à la limite du supportable et a archivé les plus insoutenables pour ne pas heurter la sensibilité des plus démunis qui en voulaient déjà aux derniers maillons de la bande pour leur lâcheté insultante de monnayer les prérogatives les plus ordinaires tels une simple demande d'entretien avec un responsable ou l'octroi d'un travail. Tous ceux qui étaient emportés par ce tourbillon de dépravation et imprégnés de malversation qui donnait lieu aux détournements à des fins d'enrichissement personnel constituaient les complices indignes de ce clan. Enivrés de leur opulence abusive, ils étaient pris au dépourvu par cette révolution inopinée, improvisée à la hâte pour les assiéger et les neutraliser. Certains, sans remords ni regrets, essayent aujourd'hui d'emprunter l'épiderme du caméléon pour normaliser leur situation, passer à travers les mailles de la justice et continuer impunément leurs sales besognes, en cherchant refuge dans la solitude complète. D'autres, sans scrupule, se prenant pour des démocrates vertueux et profitant des fruits juteux de la révolution, réclament, haut et fort, leur liberté de militantisme politique et leur droit de candidature aux élections, en se servant de termes humanitaires qu'ils piochèrent hâtivement de la charte des droits de l'homme puisque ignorés auparavant. Il est inutile de s'étaler sur ceux qui croupissent actuellement dans les vestibules des geôles, jalousement gardés car même les rumeurs de leur évasion pourraient faire scandale, ni même ceux qui avaient apprécié à juste titre la ténacité du peuple à leur défaveur pour déguerpir par air, mer ou terre, et furent les premiers émigrants clandestins après la révolution pour constituer une diaspora tourmentée en perpétuelle recherche d'une terre d'asile. Ces gens, qu'on aurait peut-être plus haïs si on les avaient plus aimés, devraient assouvir leur conscience et se repentir. L'auraient-ils deviné qu'ils n'auraient guère été marginalisés s'ils n'avaient pas bafoué la dignité des Tunisiens ?