Par Sonia EL KADHI (Universitaire) Après une révolution historique et une transformation monumentale, l'heure est au processus de restructuration de l'économie tunisienne. Mais voilà, un vent de panique continue de souffler sur les marchés de matières premières, et les contraintes qui assaillent notre économie se multiplient. En effet, en plus des revendications sociales, ces derniers mois ont vu une accélération de la hausse des cours des matières première agricoles. Cette envolée des cours soulève beaucoup d'inquiétude, quant à la sécurité alimentaire dans de nombreux pays en développement. En effet, si cette situation perdure, elle se répercutera lourdement sur la facture budgétaire des subventions. La Tunisie figure parmi les pays fragiles en matière de sécurité des approvisionnements alimentaires. Les cours des matières premières étaient retombés en 2009 après avoir atteint des niveaux jamais égalés en 2007 et 2008. Le repli n'a finalement été que de courte durée, puisque ces niveaux sont allègrement dépassés depuis six mois. Les cours mondiaux des céréales et des oléagineux ont, en effet, repris leur ascension, laquelle s'est d'ailleurs accélérée durant le premier trimestre de 2011. Les données chiffrées du FMI indiquent que les prix des produits alimentaires ont franchi l'ancien palier de 2008 et Philippe Chalmin, professeur à Paris-Dauphine et coordinateur du rapport Cyclope, affirme que "jamais les prix n'ont été aussi élevés. On assiste à un véritable choc, le plus important depuis les années 70". A cette hausse plusieurs raisons… Sans aucun doute, les aléas climatiques pèsent sur l'évolution des cours des produits agricoles, qu'il ait trop plu ou pas assez. Les évolutions des prix des produits agricoles ont continué de dépendre de considérations d'offre et de demande influencées par les conditions climatiques qui risquent de peser encore sur les prix tout au long de l'année 2011. Comme de nombreux économistes, la FAO a exprimé son inquiétude sur l'imprévisibilité de la météo qui a occasionné de lourds dégâts, ces dernières années, et continue d'en faire : les inondations en Australie, les tornades aux Etats-Unis, la sécheresse en France, en Europe, en Argentine et en Russie risquent d'amplifier le phénomène de hausse des cours. Les dérèglements climatiques extrêmes incitent donc à la prudence pour la suite des évènements, même si certains économistes estiment que les cours élevés inciteront à une augmentation de surfaces plantées durant les prochaines années ainsi qu'à un meilleur recours aux engrais. Cependant, et à côté des aléas climatiques, force est de constater que l'expansionnisme monétaire dans de nombreux pays, les Etats-Unis en tête, s'est traduit par une surliquidité de l'économie mondiale, encourageant la spéculation sur les marchés dérivés. Ainsi, la financiarisation des marchés agricoles est bel et bien une réalité. Il suffit qu'un événement climatique se produise pour que la spéculation se renforce. Et tout est laissé à la régulation du marché. Par ailleurs, la croissance de la production de biocarburants et la dynamique de la demande mondiale, émanant en particulier de la Chine et d'autres pays émergents, ont également contribué à la flambée des cours. … et de nombreuses conséquences Tout porte à croire donc que ce phénomène de volatilité devrait se poursuivre. Ces mouvements de yo-yo du marché inquiètent les consommateurs et, par ricochet, les pouvoirs publics. Ils soulèveront la question de son impact sur les approvisionnements dans notre pays. Bien entendu, la hausse des prix des matières premières et agricoles est une mauvaise nouvelle pour de nombreux pays. En effet, dans ce contexte résolument haussier, la Tunisie demeure très vulnérable, car encore dépendante d'importations alimentaires. Avec un taux d'autosuffisance en céréale très faible de l'ordre de 29%, la Tunisie est très exposée à la flambée des cours et nous faisons partie des pays où l'alimentation représente encore une part importante du total de nos dépenses. Toutefois, le fait que la plupart des produits alimentaires soient subventionnés pose dans ce contexte de sérieux problèmes à nos dirigeants. Rappelons que, compte tenu du fait que les produits alimentaires ont une valeur symbolique, la Tunisie a choisi une politique de subvention des produits de base, via une caisse de compensation, et c'est pour cette raison que les prix à la consommation sont demeurés stables, malgré la hausse des cours mondiaux des produits agricoles. Toutefois, cette hausse se répercute directement sur le budget de ladite caisse qui doit être revu au fur et à mesure que les prix flambent. Pour le moment, donc, le coût de la hausse des cours mondiaux est purement budgétaire et très peu inflationniste. Et dans un contexte de révolution, ni le gouvernement transitoire actuel ni celui d'après n'osera laisser les prix alimentaires domestiques augmenter et la facture de l'emballement des prix mondiaux s'accompagnera d'un déficit budgétaire plus élevé. La Tunisie est structurellement importatrice de ces produits et le déficit commercial en produits agricoles et alimentaires de base s'élève à environ 144 millions de dinars pour les quatre premiers mois de l'année en cours. La hausse par rapport au cours du 1er trimestre 2010, est d'environ 105% pour le blé dur (pour la semoule, les pâtes alimentaires, le couscous), 90% pour le blé tendre (pour le pain, la farine), 88% pour l'orge (aliment, bétail, et autres), 60% pour le sucre et 52% pour l'huile végétale (huile subventionnée en bouteilles de verre). Au total, et compte tenu de ces niveaux de subvention, les charges de compensation s'élèveraient à 1.256 millions de dinars contre 700 millions prévus par le budget de l'Etat pour 2011. Alors que l'on s'était habitué à des prix alimentaires relativement abordables dans les années 80 et 90, depuis l'an 2000, les prix des produits agricoles n'ont cessé d'augmenter, et tout porte à croire que ces hausses sont tendancielles et non temporaires. La situation alimentaire demeure inquiétante au niveau mondial et nous devons peut-être apprendre à payer plus cher pour nous alimenter. Nos finances publiques et donc nos dirigeants resteront probablement confrontés aux lourds problèmes posés par des prix de l'alimentation à la fois plus élevés et plus instables que par le passé.