Par Sonia EL KADHI (universitaire) Comme toute révolution, celle de la Tunisie a un coût économique. En effet, les événements de ces derniers mois ont fait subir à notre économie des dommages collatéraux très lourds. Plus les jours passent, plus les plaies économiques deviennent profondes. L'offre et la demande semblent affectées et un rééquilibrage de l'économie tunisienne est plus que légitime, voire nécessaire. Ce rééquilibrage sera forcément douloureux. Il dépendra sans doute de la volonté et surtout de la force de le mener et nécessitera certainement une coordination renforcée entre le public et le privé. Face aux changements sans précédent que connaît notre pays, les perspectives économiques laissent entrevoir des espoirs et des opportunités, mais aussi des incertitudes et des risques. C'est le message qui semble se dégager du débat organisé par la Banque africaine de développement jeudi dernier en présence du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie. Résultat : les perspectives en matière de croissance demeurent sombres. Repartira, repartira pas? L'économie tunisienne est-elle au bord du gouffre? Sans doute pas, même si les raisons d'être pessimiste ne manquent pas. Cependant, même si l'inquiétude peut être compréhensible, quelques éléments requis pour un redémarrage sont réunis. Mais sans aucun doute, cette reprise économique est encore fragile, ce qui fait planer des doutes sur les prévisions de 2011 et 2012. Très récemment, plusieurs instituts se sont efforcés d'avancer des chiffres de croissance pour l'année en cours. Le FMI retient un taux de croissance de 1,3% dans ses dernières perspectives du mois d'avril alors que le ministère du Plan et de la Coopération internationale est plus pessimiste et estime que la croissance sera de seulement 1% pour l'année en cours. Plus prudente, la Banque africaine de développement a présenté jeudi dernier trois scénarii (bas, moyen, haut) avec une croissance allant de -2,5% à 3,6%. Cette incertitude nous incite à une certaine prudence sur le rythme de la reprise économique. A ce propos, la question rituelle pour la Tunisie est désormais : est-ce la fin du «trou d'air» ? L'image du «trou d'air» suggère qu'après une perte d'altitude liée à des courants contraires, l'économie tunisienne retrouverait sa ligne de vol antérieure. La question est alors: quand donc la Tunisie retrouvera cette ligne de vol? Les données conjoncturelles les plus récentes donnent de l'espoir mais ne confirment pas la fin du «trou d'air». Il est bien légitime de s'interroger sur la pérennité de cette reprise. Dans le jargon des prévisionnistes, plusieurs lettres de l'alphabet se déclinent pour symboliser la reprise : en "L", en "N", en "U", en "V" ou encore en "W" ! Il n'est pas surprenant, dans un environnement incertain, que tous les scénarii soient plausibles mais l'expérience internationale nous a rappelé qu'en matière de prévision, prudence et modestie sont de rigueur. La probabilité du scénario noir, en L, c'est-à-dire une dépression, est assez réduite. C'est déjà une bonne nouvelle car les autres scénarii symbolisent la reprise, leur différence résultant dans le "timing" de cette reprise. Et la pratique des marchés nous apprend que ce n'est pas tant la tendance mais plutôt le timing qui est le plus difficile à prévoir. Les raisons macroéconomiques pour un ralentissement de l'économie tunisienne ne manquent pas : conséquences des baisses des revenus du tourisme — en plus de la perturbation dans la production — et du commerce. Il n'y a aucun doute que la croissance ne retrouvera pas rapidement ses rythmes antérieurs, dans la mesure où beaucoup d'entreprises ont fermé, détruisant, par ricochet, de nombreux postes d'emploi. Il n'en reste pas moins que si la conjoncture générale se dégradait, certains indicateurs laissent penser qu'on pourra retrouver le même rythme de croissance qu'avant, mais sans pouvoir compenser la richesse perdue pendant. Ce scénario "en N " demeure très probable. Ainsi, à mesure que s'envolent les illusions de reprise rapide en V des plus optimistes, le consensus s'établit sur, au mieux, une trajectoire en U mais beaucoup n'ont plus guère de doute sur un scénario en N. Nous retenons ce schéma comme scénario central, mais nous privilégions l'hypothèse d'une reprise peu vigoureuse, accompagnée de plusieurs risques qui pourraient conduire au report de la reprise économique. Ce scénario est considéré par beaucoup comme devant être le type de passage obligé à notre économie vers le rétablissement de ses grands équilibres macroéconomiques. De toute manière, et quels que soient ses facteurs déclenchant la réaction de l'économie aux chocs, cette période sera économiquement et socialement coûteuse. Nous estimons que les marges de manœuvre des politiques économiques ne sont pas totalement épuisées. Contrairement au discours du Premier ministre, l'hypothèse que la Tunisie peut continuer à résister à moyen terme aux multiples contraintes qui l'assaillent n'est pas remise en cause, sauf si un événement majeur vient finalement bousculer l'ordre des choses d'ici quelques mois. En définitive, si on privilégie les forces positives, on peut envisager le scénario d'une bonne reprise en 2012. Si on accorde une certaine importance aux freins, la reprise doit être reportée et surtout modérée dans sa vigueur. Enfin, si l'on craint un décrochage de la consommation ou si l'on redoute de fausses manœuvres, le scénario d'un enlisement un peu durable ne doit pas être écarté.