Par Sonia EL KADHI (Universitaire) L'un des déclencheurs de notre révolution été le besoin de changement politique, économique et social. Aujourd'hui, la transition politique avance à petit pas, mais elle avance quand même. Cependant, la transition économique qui doit être à la hauteur des aspirations et du mécontentement de nos concitoyens est encore au point mort. Il est temps, voire urgent, de lancer un Agenda for growth.Sans ça, on nous accusera d'avoir fait un saut dans le vide. Ma conviction est que seule une révolution économique pourrait éviter à notre chère Tunisie impasse économique, financière, sociale et donc politique. Toutefois, dès lors qu'il s'agit d'initiative de réforme, deux écoles de pensée s'opposent. Une première à vocation sociale et d'inspiration keynésienne voudrait que les gouvernements subviennent aux besoins de leur peuple et que cela alimenterait la demande et stimulerait l'offre. L'autre école, d'inspiration classique, revendique plus de liberté économique. En effet, et par analogie au modèle bien connu de la courbe en J reflétant les effets de la dévaluation d'une monnaie, on peut penser à une courbe en J de la réforme. Le premier type de réformes risque de n'avoir comme effet à terme qu'exacerber les graves problèmes de notre pays. En effet, l'approche distributive peut nous conduire à un J inversé. Elle entraîne à court terme un avantage, mais à court terme seulement. Par la suite, cet avantage disparaît et la réforme pénalise durablement l'économie. Si une telle réforme peut s'avérer populaire, elle peut être à terme très coûteuse. A contrario, le second type de réformes offre l'espoir d'un changement positif et durable. C'est la courbe en J. La réforme est pénalisante dans un premier temps d'où les réticences et les difficultés à les mettre en œuvre. Si ce premier cap peut être franchi, elle peut s'avérer avantageuse dans un second temps. Certes, cette stratégie n'est pas toujours populaire, mais le bon sens économique voudrait que l'on choisisse la "bonne" courbe en J et que l'on évite l'impasse d'une courbe en J inversée. La difficulté et le danger sont cependant ce premier cap à franchir, un véritable challenge. Naturellement, et après une révolution, la Tunisie cherche à apaiser le mécontentement populaire par une combinaison d'allocation, d'exonération fiscale, de subventions, d'emplois dans la fonction publique. Même si les causes de la révolution ne sont pas que matérielles, de telles actions peuvent donner espoir à un peuple longtemps réprimé et privé de ses besoins les plus élémentaires. En revanche, une politique sociale, si elle se comprend dans un premier temps, ne devrait pas trop se prolonger au risque d'obérer les finances publiques. Nul doute que l'assistanat n'est pas efficace à terme et ne ferait qu'amplifier le malaise économique que traverse actuellement notre économie s'il devait être maintenu trop longtemps. La richesse économique ne se décrète pas et demeure tributaire en grande partie de l'emploi productif. L'intuition courante est qu'une politique sociale de distribution des avantages ne rend jamais ses citoyens plus riches. Une telle politique ne fait, en fait, que redistribuer la richesse déjà créée. D'une manière similaire, des emplois créés et garantis par l'Etat ne sont jamais efficaces et généreront tôt ou tard une hausse d'impôts. Le fait que le gouvernement garantisse un emploi implique que sa rentabilité n'est pas recherchée. Loin d'être un atout, de tels emplois sont plutôt un fardeau pour la société car ils peuvent tirer vers le bas notre productivité, déjà trop faible, et décourager l'initiative économique dans notre pays. Il est donc fort à craindre que si les citoyens s'habituent à dépendre de la redistribution, le travail productif ne peut qu'être découragé et la réelle création de richesse en souffrira. L'économie ne pourrait guère résister et se piéger dans une trappe à stagnation au fur et à mesure que le nombre des citoyens dépendants augmente et que le nombre de travailleurs productifs diminue. Un tel scénario pourrait nous engager dans un cercle vicieux infernal : plus de dépendants, plus de dettes, moins de croissance, moins d'emplois, plus d'injustices, plus de déficits et plus de dettes. Il est de notre devoir aujourd'hui d'éviter un tel scénario. La volonté de tous les Tunisiens de faire les efforts nécessaires pour vivre mieux montre que les transformations nécessaires pour y parvenir sont à notre portée. Il nous faut donner à la jeunesse la priorité de toute action publique parce qu'une jeunesse au chômage est à la fois un frein à notre croissance, une injustice et un gâchis. Nous voulons une société dynamique et compétitive. Nous sommes de l'avis de ceux qui pensent que croître, c'est aussi prendre des risques. La recherche du risque zéro mène à la réussite zéro. L'innovation doit être favorisée et assumée et le principe de précaution doit être strictement circonscrit. Cela passe notamment par une incitation à la recherche, à l'esprit d'entreprise. Quoi que l'on dise, notre pays est confronté à des changements majeurs et ne peut se permettre de se perdre dans d'infructueux débats. Il faut une transformation radicale de la manière avec laquelle l'activité économique est menée dans notre pays. La Tunisie doit devenir une terre d'avenir, fertile à l'investissement où les personnes peuvent créer leurs propres emplois productifs, se prendre en charge et bâtir leur propre destin.