Par Abdelhamid Gmati Le contre-pouvoir, selon une formule communément admise, est un pouvoir qui s'organise face à une autorité établie. Sous les dictatures que le peuple tunisien a vécues, il n'y avait pas de contre-pouvoir d'aucune sorte. On vivait sous le règne de la pensée unique et gare à celui ou à celle qui osait réfléchir et avoir un avis, encore moins une proposition, une alternative différentes. La révolution a rejeté cette dictature et refusé la pensée unique. Elle a été faite sans aucun apport des intellectuels, des leaders politiques (autoproclamés), des défenseurs des droits de l'Homme, ni des opposants à l'intérieur ou à l'extérieur. Mais elle a permis à tous les citoyens de se défouler de différentes manières et de revendiquer, jusqu'à la pagaille, jusqu'à la gabegie, mettant en péril tout l'édifice national. Et où allons nous? Réellement un changement ? L'exemple d'autres révolutions récentes nous apprend que la révolution «reste un élément de la lutte des peuples» mais elle n'apporte que peu de changements fondamentaux durables (à part quelques exceptions comme à Cuba). Chez nous, ce que nous constatons depuis quelque cinq mois est tout simplement une lutte pour le pouvoir. Et les élections que l'on s'ingénie à organiser, avec semble-t-il beaucoup de difficultés, ne visent qu'à octroyer le pouvoir aux uns ou aux autres. La différence est que l'on s'ingénie à faire en sorte que cela se fasse dans la transparence, dans la liberté, selon les principes de la démocratie, en se dotant d'une nouvelle Constitution, et de nouvelles règles. Fort bien mais la démocratie, telle qu'entendue, est le pouvoir du peuple qui l'exerce par délégation, en désignant, en élisant ses représentants. Le peuple étant multiple dans ses convictions et ses opinions, c'est la majorité qui l'emporte. Les garants de la démocratie sont alors les contre-pouvoirs, ceux qui empêchent la dictature de la majorité, qui font que la minorité s'exprime, critique et propose des alternatives. Il ne s'agit pas de remplacer un pouvoir à pensée unique et omnipotent par un autre, fût-il issu d'élections. Il nous faut des contre-pouvoirs et en acquérir la culture. Or les avons-nous? Les partis politiques dont l'immense majorité n'ont été créés qu'après la révolution, n'ont que très peu d'audience. Tous les sondages l'affirment. Et ils se préoccupent surtout de leur image et cherchent à se positionner, obsédés par les intérêts personnels de leurs dirigeants. Les membres des associations et les personnalités dites «indépendantes» (indépendantes de quoi? de leurs intérêts personnels et de leurs ambitions?) font de même. Tout le monde critique, louvoie, s'en prend au gouvernement provisoire, crie aux «complots internes et externes» mais aucun ne fait de proposition alternative et constructive pour faire face aux problèmes du pays. Ceci explique en partie la méconnaissance populaire de ces partis et autres organisations. Ils ne font rien pour intéresser, se démarquer ou même retenir l'attention. Les syndicats se multiplient aussi et l'Ugtt voit son influence diminuer même si elle continue à pérorer, handicapée d'autre part par quelques «cadavres dans ses placards». Les médias, libérés en principe, ont aussi un passé handicapant et se lancent dans le «sensationnalisme» et le populisme. Qu'avons-nous ? Sommes-nous passés d'une société «d'autorité» à une société «d'influence» où chacun crie, revendique, accuse et essaie d'influencer et de se positionner ? L'apprentissage de la démocratie commence tôt et cela veut dire, entre autres, que les citoyens sont égaux dans les droits et les devoirs et devant la justice. Or nous voyons des personnes se comporter comme si elles étaient intouchables, au-dessus de tout et elles accusent à tout-va. Prenons un exemple : celui de ce magistrat, défendu becs et ongles par ses collègues magistrats. Ses paroles et accusations inconsidérées qui ont provoqué tant de dégâts au pays auront-elles été aussi facilement pardonnées si elles avaient été proférées par un quidam exerçant un autre métier ? Attention à ne pas sombrer non pas dans la démocratie mais dans «l'élitocratie». Et surtout imprégnons- nous de cette culture du contre-pouvoir.