C'est la deuxième exposition qui se tient à la Bibliothèque nationale toujours avec le soutien de Olfa Youssef, qui a donné son accord à cet événement quelques jours avant sa démission le 3 mai dernier. «Ce fut un accord verbal, que certains fonctionnaires honnêtes de la Bibliothèque nationale ont respecté après son départ. L'exposition a lieu, grâce aussi à l'insistance de Nouhed Jmaiel qui organise l'événement», nous explique Oussema Troudi, artiste plasticien et chercheur en arts plastiques à l'Institut Supérieur des Beaux-arts de Tunis. Ce dernier, avec son invité Ahmed Mâamar (Alias Eraser Man) , également plasticien et chercheur en arts plastiques à Paris, investissent les lieux, depuis le13 mai 2011 avec une exposition de photographies et de peintures, intitulée «Asymptotes – paraskevidékatriaphobie». Un titre composé qui interpelle plus d'un. Le terme asymptote étant utilisé en mathématiques pour préciser des propriétés éventuelles d'une branche infinie de courbes à accroissement tendant vers l'infinitésimal. C'est d'abord un adjectif d'étymologie grecque qui peut qualifier une droite, un cercle, un point ... dont une courbe plus complexe peut se rapprocher. Son emploi dans l'intitulé de l'exposition est symbolique. «Son étymologie renvoie à l'acte de “tomber ensemble” dans l'abîme de l'infini, à la recherche de quelque perfection. Cela ne ressemble-t-il pas quelque part à la situation actuelle du pays, dans différents domaines?», comme cela est mentionné dans un texte explicatif de l'exposition. Le second terme renvoie à la phobie du "vendredi 13", date du vernissage. Mais aussi le 13 comme la veille du départ de Ben Ali. Dans le domaine scientifique, il arrive fréquemment d'étudier des fonctions dépendant du temps (évolution de populations, réaction chimique ou nucléaire, graphique de température, oscillation d'un amortisseur). Un des objectifs du chercheur est alors de connaître l'état à la fin de l'expérience, c'est-à-dire lorsqu'un grand intervalle de temps s'est écoulé. L'objectif n'est alors pas de connaître les variations intermédiaires, mais de déterminer le comportement stable, à l'infini du phénomène mesuré. Dans ce sens, les travaux de Oussema Troudi ne sont ils pas également une sorte d'étude du comportement asymptotique relatif à l'évolution des choses (sociale et politique) en Tunisie après le 14 janvier...? Car une asymptote «n'est elle pas cette utopie vers laquelle on tend sans jamais l'atteindre?», lit-on encore dans le texte de présentation. Une histoire de coupure/continuité Soutenues par les textes poétiques d'une jeune étudiante en art et décoration, Fatma Belhedi, les toiles traitées en technique mixte de Oussema Troudi nous décrivent ces morsures de la chair (toile) qui viennent dévoiler la fragile éclaboussure d'un os qui tend vers son dénuement. Sur ses toiles en grand format à la palette quasi fortuite (jaune ocre, bleu, rouge, blanc et noir l'artiste vient y déposer ses notes linéaires, sorte de ratures (palimpseste) ou ces «quelque trente-six mille droites, dessinées par un oubli…ces quelques trente-six mille, réduits à toujours rester aussi dignes que l'effacement de nos lignes…», comme l'écrit la jeune Fatma. Une série de lignes (droites ou inclinées) que l'artiste inscrit sur la toile sans rupture de note (surface) dans sa série de trois toiles «Chair, os et bleu ciel» et dans «Chair, ocres et oxydes». «Une manière d'appréhender autrement la toile, de la lire autrement aussi. Ainsi plonger dans mes lignes, je perds ce recul que j'ai avec le support et c'est une autre dimension qui s'ouvre à moi», explique l'artiste. Des ouvertures en réserve (en marge) dans sa toile «Chair, ocres et oxydes» ou encore avec la coupure (momentanée des éclaboussures) qui se fait, subtilement, continuité dans ses triptyques : «Le compromis» et «Amarrage». Nous retrouvons cette éternelle histoire de palimpseste avec sa série de tirages de photos numériques «Arafa», présentant des recadrages sur des photos numériques prises par un groupe de pèlerins tunisiens au mois de Ramadan 2010. L'artiste nous explique que sur la montagne de la Miséricorde, à Arafa, a été érigée une construction en forme d'obélisque recouverte d'enduits et de peinture blanche, où les pèlerins, y viennent inscrire (et bien que n'y faisant pas partie du rite), dans toutes les langues, leurs noms et leurs souhaits. Les murs blancs noircis par ces inscriptions sont, paraît-il, repeints chaque année avant la saison du grand pèlerinage. «L'un d'eux, muni d'un marqueur rouge, au lieu d'écrire, il a tracé des lignes. Ce fut mon mère», note l'artiste. Encore de la photographie avec, entre autres, l'installation «Accumulation 2» présentant 432 clichés numériques (640/ 480 pixels) de Ahmed Mâamar. Deux ans de photos prises à l'aide d'un téléphone portable, sans retouches ni effet post capture. Cela vaut vraiment le détour, d'autant plus que l'on est ravi par l'exploitation d'un nouvel espace d'exposition et pas n'importe lequel!