Il n'y a pas de doute : la scène artistique dans notre pays, celle des arts plastiques plus précisément, est en pleine effervescence. Mais les choses ne vont pas, pour autant, pour le meilleur. Ce dynamisme a son pendant: un vrai dédale ! Chamboulement des pratiques et des modalités de réception, défaillance de la critique, pauvreté du cadre réglementaire, centralisation des espaces d'exposition…des donnes qui ne font qu'accentuer la nébuleuse qui entoure l'art contemporain. C'est pour ces raisons mêmes, que les pratiques de l'art en Tunisie et leur réception on été le thème du colloque organisé, les 3, 4 et 5 décembre derniers à Hammamet, par l'Unité de recherche Pratiques artistiques modernes en Tunisie (Institut supérieur des Beaux-arts de Tunis). A travers une quinzaine de communications scientifiques, dont il faut saluer au passage la qualité des débats et une table ronde, une pléiade de chercheurs, universitaires essentiellement, mais aussi des artistes, se sont attelés au diagnostic de la scène des arts plastiques tunisienne. Et il faut dire qu'ils ont mis le doigt là où le bât blesse ! Si la qualité et les tendances esthétiques qui prévalent dans les pratiques artistiques à l'heure actuelle, sous nos cieux, n'ont pas été débattues en profondeur (cela a été l'objet d'un précédent colloque), le marché de l'art avec ses différents acteurs, la critique d'art ainsi que la réception, ont été, principalement, mis sous le feu des projecteurs dans une tentative d'intellection de la scène plastique nationale. Il faut dire que le discours était pour le moins pessimiste et le ton direct… La critique d'art sur le banc des accusés? La critique fait, sans doute aucun, partie des instances de légitimation des artistes et de leurs œuvres. Son rôle dans la détermination de la notoriété de l'artiste et même de sa cote – si cote il y a – est incontestable. Mais existe-t-il une critique d'art digne de ce nom en Tunisie ? Les intervenants semblent, pratiquement, tous d'accord sur ce point : impressionnisme, arbitraire du goût et complaisance régissent, sauf quelques exceptions, ce domaine. Un fossé entre la critique d'art et la pratique plastique semble s'être creusé et la notoriété médiatique ne reflète pas forcément la notoriété (et la qualité) artistique. Avec une culture artistique limitée, ne maîtrisant pas forcément les mécanismes de l'approche critique d'une œuvre d'art, la plupart des journalistes tombent dans le piège de la subjectivité, remarquent les chercheurs-plasticiens. Pis encore, les articles, informatifs ou dans une veine littéraire, sont souvent dictés par les penchants des uns et des autres, pour un style ou pour un artiste particuliers. Or, la critique d'art se doit d'être un garde-fou et doit être régie par la seule objectivité. Argumentée, elle est tenue de situer l'œuvre dans son contexte historique et esthétique, etc. Si des analyses plastiques de qualité, réalisées dans le cadre de recherches académiques, existent, elles restent cantonnées dans les bibliothèques des structures universitaires et non accessibles au grand public. L'art et la toile : opportunités ou mirages ? Le rapport des artistes tunisiens aux nouvelles technologies a également été l'un des sujets traités par les chercheurs pendant ce colloque. Les intervenants ont expliqué comment les plasticiens tirent profit des opportunités nouvelles qu'offre le boom technologique, aussi bien en termes de visibilité que de pratique. Grâce aux sites personnels (et ceux des galeries), aux forums, aux réseaux sociaux, notamment facebook et twitter, ils peuvent, en effet, montrer leurs œuvres, communiquer sur leurs expositions, débattre directement avec public et professionnels et s'exprimer librement. Certains artistes se sont également convertis au mode numérique remplaçant les médiums classiques (la peinture en l'occurrence) par les outils numériques. Une démarche sur laquelle les avis restent cependant partagés ! Dans tous les cas, une chose est certaine : avec son accessibilité illimitée, le Net ouvre des horizons nouveaux pour les artistes. Quant à la vente des œuvres d'art sur Internet en Tunisie, c'est toute une autre affaire ! Si un marché de l'art virtuel et interactif existe bel et bien à l'échelle internationale, les intervenants ont affirmé que nous sommes loin du compte ! Rares sont les plasticiens tunisiens, même les plus «branchés» qui réussissent, semble-t-il, à vendre leurs œuvres à travers la toile. Cela est dû, en grande partie, à la complexité administrative et bancaire relative aux modalités de paiement et au scepticisme du Tunisien (artiste et acquéreur) quant à ce nouveau type de transactions. Beaucoup reste donc à faire de ce côté… Marché de l'art : sous le signe de l'opacité Le marché de l'art «classique» ne souffre pas, pour autant, de moins de problèmes ! Loin s'en faut. D'une manière générale, les participants à ce colloque ont relevé l'opacité et l'amateurisme qui caractérisent la scène des arts plastiques en Tunisie : absence de normes, collectionneurs «fantômes», acquéreurs incertains, culture artistique déficiente pour le public, manque d'informations et de base (s) de données, rareté des véritables spécialistes du marché…Le tableau n'est pas vraiment beau! Pour sa part, la commission d'achat ne semble pas arranger les choses. Plus encore, tout porte à croire, selon les témoignages de certains participants, que c'est un «mal» dont souffrent les plasticiens, une grande partie du moins ! Sous la tutelle du ministère de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine, cette structure a pour buts de construire un fonds d'œuvres d'art contemporain qui sera exposé dans un musée — tant attendu —, et pour encourager les artistes tunisiens, dont la plupart peinent à vivre de leur art. L'Etat est, de la sorte, le premier acquéreur des œuvres d'art dans le pays. Seulement, d'après les participants à ce colloque, cette commission semble parfois dévier, aujourd'hui, et d'une certaine manière, de la noble mission qui lui a été assignée au départ. Les critères et modalités d'acquisition des œuvres ne font pas, en effet, l'unanimité…Rendre davantage transparent le travail de cette commission, organiser ses modes de fonctionnement (planning, budget,…), créer un catalogue des œuvres du fonds national des arts plastiques (avec les prix d'acquisition, les dates, le format…) et le rendre public ne peut qu'améliorer la situation et garantir la transparence. Quel salut ? Il ne s'agit ici que de quelques-unes des questions qui ont été soulevées lors du colloque «Pratiques de l'art en Tunisie et leur réception». Une rencontre qui s'inscrit dans les préoccupations actuelles et des chercheurs et des praticiens et qui a permis d'établir un état des lieux assez exhaustif de la scène des arts plastiques nationale. De la critique au public, en passant par les lieux et le marché de l'art ainsi que les disciplines scientifiques. Mais si plusieurs défaillances ont été relevées par les chercheurs, les solutions concrètes n'ont pas été trouvées à toutes. Il s'agit là d'une responsabilité qui incombe certainement à tous les opérateurs du secteur, sans exception aucune : artistes, galeristes, chercheurs, journalistes et instances de tutelle…Ces derniers doivent non seulement trouver des issues aux difficultés actuelles, mais aussi développer des propositions pour le travail, à long terme, du département arts plastiques dans la Cité de la culture.