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Les faux amis
AKP - Ennahdha
Publié dans La Presse de Tunisie le 08 - 06 - 2011


Par Abdellatif GHORBAL
Le parti islamo-conservateur turc AKP, soit le Parti Justice et Développement, constitue la référence principale des islamistes tunisiens, et la garantie donnée à tous ceux qui craignent leur arrivée au pouvoir, très nombreux en Tunisie. L'argument d'Ennahdha est simple : puisque l'arrivée au pouvoir des conservateurs islamistes en Turquie ne s'est pas traduite par l'instauration d'une dictature ou la fin des libertés, alors l'arrivée au pouvoir du «parti frère» en Tunisie ne devrait effrayer personne. Mieux encore : de la même façon que la Turquie a retrouvé sa dignité et son rang sur la scène mondiale depuis que Recep Tayyip Erdogan est devenu Premier ministre, la Tunisie aurait tout intérêt à confier son destin à ses disciples d'Ennahdha. Cette comparaison, un argument majeur qu'Ennahdha propose aux Tunisiens pour les inciter à voter pour eux, est entièrement fausse, et ce, pour une raison très simple : l'AKP est avant tout un élément modérateur pour une Turquie tourmentée par son histoire tout au long du XXe siècle, un parti qui s'appuie sur l'Islam national, et qui a réussi à apaiser une société turque très violente, tandis qu'Ennahdha, malgré le discours d'affichage de ses dirigeants (dont certains sont peut-être sincères), est un parti encore dominé, dans les faits, par une idéologie extrémiste, qui s'appuie sur un Islam étranger, celui du Golfe, dont le résultat serait de diviser une société tunisienne pacifique et unie. Mais cette comparaison est trop centrale dans le discours d'Ennahdha pour ne pas l'examiner plus en détail.
Le parti de l'étranger
En premier lieu, il convient de constater que le seul parti politique dont ils se réclament est non seulement un parti étranger, mais également un parti issu d'une ancienne puissance tutélaire. Se réclamer d'un parti étranger, ou de sa famille, n'est pas une mauvaise chose en soi, mais dans ce cas, il faudrait s'abstenir de coller cette étiquette à ceux que l'on voudrait décrédibiliser, et cesser de considérer les adversaires d'Ennahdha comme des suppôts de l'Occident décadents ou immoraux. Ensuite, la Turquie est-elle une référence si pertinente que cela pour la Tunisie ? Jusqu'à preuve du contraire, la Turquie est un des piliers de l'Otan, un soutien fidèle des Etats-Unis depuis soixante ans, et le seul et dernier allié important d'Israël dans la région, depuis que les Egyptiens ont chassé Moubarak du pouvoir. De plus, la Turquie a eu le temps dans le passé de montrer son savoir-faire sur le sol tunisien, et on ne peut pas dire que l'expérience ait été probante, puisque la Tunisie a été incapable d'empêcher l'invasion des troupes françaises. Nous faisions peut-être partie d'un empire légitimé par l'Islam, avec à sa tête un commandeur des Croyants, mais cela ne l'a pas rendu plus efficace pour autant, et cela ne l'a pas empêché de faillir à son premier devoir, défendre efficacement ses habitants. Cela d'ailleurs devrait nous servir de leçon si nous avons à cœur l'indépendance de la Tunisie.
La souveraineté de la Tunisie n'a jamais dépendu de la conformité islamique de ses lois, mais de son niveau de développement : lorsque nous sommes riches et éduqués, nous sommes capables de nous défendre; lorsque nous sommes pauvres et en retard sur le plan technologique, nous sommes envahis, et l'Islam n'a rien à voir avec cela. En réalité, les dirigeants visibles d'Ennahdha se sont engagés, par des discours trop policés, dans des stratégies de dédiabolisation, et des tentatives hasardeuses de séduction, afin de parvenir au pouvoir. Mais il est à craindre, dans les deux cas, que leur volonté de rompre avec l'extrémisme du passé ne soit qu'un artifice électoral, non encore validé par une base plutôt portée vers le radicalisme, et le fanatisme religieux.
l'Islam contre l'identité arabe ?
En second lieu, il est vraiment étonnant que les membres d'Ennahdha citent un parti turc, loin de la tradition islamique tunisienne, alors qu'il existe tellement de partis islamistes au Maghreb et dans l'ensemble des pays arabes. Serait-ce à dire que, à leurs yeux, leur islamité est plus importante que leur arabité ? Veulent-ils montrer au monde entier que la cause arabe ne les intéresse pas ? Quel message fort, à l'heure où les peuples arabes se soulèvent les uns après les autres, suivant en cela l'exemple tunisien ! Il est aussi probable que la vieille habitude des islamistes, jouer contre son propre camp, soit en train de renaître (une renaissance dont on aimerait vraiment se passer). Comme dans les années 1960, où ils ont tout fait pour faire échouer Nasser et ses projets d'émancipation arabe, ils ne souhaitent pas le succès des révolutions arabes si elles ne sont pas islamiques. En d'autres termes, ils préfèrent échouer en islamistes que réussir sans l'islamisme. Il y a sans doute une autre raison, le manque d'exemples arabes crédibles, notamment au Maghreb.
Les monarchies du Golfe sont-elles les vraies inspiratrices d'Ennahdha ?
Il existe pourtant un parti islamiste arabe qui s'est distingué depuis les années 2000, le Hezbollah libanais. Même si l'on ne partage pas ses références religieuses, force est de constater que ses membres ont vaincu à deux reprises Israël les armes à la main, une première fois pour libérer leur territoire en 2000, une seconde fois pour repousser une nouvelle invasion en 2006 et qu'ils respectent le jeu démocratique libanais, bien que le mode de scrutin leur soit très défavorable, dans un contexte hostile, subissant des pressions énormes de la part des puissances occidentales et de l'Arabie Saoudite. De plus, ils ne veulent pas d'un Etat islamique, et souhaitent à la place un Liban déconfessionnalisé et débarrassé de l'emprise de la religion, qu'elle soit chrétienne ou musulmane. Pourquoi dans ce cas ne pas les citer en exemple, ne serait-ce qu'en passant, au lieu d'aller chercher un exemple turc très éloigné ? Serait-ce que le Hezbollah a le malheur d'être composé majoritairement de chiites ? Cela en dit long sur leur tolérance et sur leur notion de fraternité islamique ! Ou alors, sans être personnellement opposés au Hezbollah, ils ne veulent pas déplaire au régime islamiste saoudien, engagé dans une guerre sans merci contre les chiites du monde arabe. Cela serait bien sûr encore pire : Ennahdha n'est pas encore au pouvoir qu'ils commencent déjà à donner des gages aux puissances étrangères, les monarchies du Golfe en l'occurrence. Voilà peut-être la vraie raison de l'exemple turc : Ennahdha préfère parler des islamistes qu'il ne connaît pas, les Turcs de l'AKP, pour éviter de parler des islamistes que ses membres fréquentent, les islamistes des pays du Golfe, très conservateurs et sectaires, et prêts aux compromis les plus douteux lorsqu'il s'agit de défendre leurs propres intérêts. C'est aussi sans doute pour éviter que l'on parle de sujets plus concrets, comme par exemple l'origine de l'argent que certains partis, dont Ennahdha, sont en mesure de déverser sur la campagne électorale en cours. Cet argent proviendrait-il de l'étranger ? La société tunisienne est pacifique et modérée, et n'aspire qu'à la démocratie et au progrès. Ennahdha n'est peut-être pas le cheval de Troie des pays du Golfe qu'il semble être, mais le doute est permis. En effet, ils prennent bien garde de définir clairement les relations qu'ils entretiennent avec les salafistes moyen-orientaux, ou les wahhabites saoudiens, et préfèrent mettre en avant l'AKP, qu'ils connaissent peu et fréquentent rarement.
L'histoire turque, très différente de la nôtre
Enfin, même si seule une sincère admiration envers l'AKP turc était la cause de cette comparaison, et non une volonté de dissimulation, il n'en reste pas moins que la Tunisie de l'après-Ben Ali n'a rien à voir avec la Turquie kémaliste. Les Turcs ont vécu de la fin de l'Empire ottoman jusqu'à l'arrivée au pouvoir d'Erdogan une période historique mouvementée, marquée par des dictatures à répétition, et des violences répétées contre certaines minorités. En 1928, les Turcs abandonnèrent l'alphabet arabe, et entreprirent de purifier leur vocabulaire des mots d'origine arabe ou perse, et il y en avait beaucoup. L'enseignement de l'arabe et du persan fut interdit. En 1949, un an après l'expulsion des Palestiniens de leur terre, la République turque fut un des premiers pays à reconnaître Israël, et signa en 1958 un traité d'alliance en bonne et due forme. Et dès que le peuple turc voulait reprendre son destin en main, l'armée turque, encouragée par les Etats-Unis et ses alliés de l'Otan, s'emparait du pouvoir grâce à un coup d'Etat, comme en 1960 et 1980.
Le mérite extraordinaire d'Erdogan et de son parti, l'AKP, a été d'essayer de rompre avec cette politique antinationale. Il a d'abord tenté d'établir un semblant de démocratie, et y a partiellement réussi, même si l'armée est encore dangereuse, et qu'un retour en arrière est toujours possible. Il a ensuite essayé, sans y parvenir vraiment, de rompre avec la politique étrangère désastreuse de ses prédécesseurs, en refusant le passage des avions américains lors de l'invasion de l'Irak, ou en dénonçant l'invasion israélienne de Gaza et les massacres qui y ont été commis. Comprenant que les Etats-Unis ou Israël ne pouvaient être les seuls interlocuteurs de la Turquie, il eut le courage de reprendre contact avec la Russie, l'Iran, la Chine. J'applaudis Erdogan des deux mains et l'encourage bien sûr à persévérer dans cette voie.
Mais en quoi sa politique est-elle islamiste ? Qu'a-t-il fait sinon défendre l'intérêt national avant tout, sans considération religieuse aucune ? Erdogan en Turquie, comme Lula au Brésil, Poutine en Russie ou Hu Jintao en Chine, a simplement compris que l'heure d'un monde multipolaire était venue, et qu'il était temps pour la Turquie de s'y préparer. Pour lui, l'Islam est avant tout une culture, une histoire, voire le dépositaire de la dignité nationale, mais surtout pas une législation prête à l'emploi, ou même une source d'inspiration. Quand il fait voter une loi, il ne se demande pas si elle est conforme ou pas à la Charia, mais si elle est dans l'intérêt national ou pas, ce qui fait d'Erdogan un grand dirigeant, à l'instar de Nasser, De Gaulle ou Bourguiba.
La Tunisie, un modèle à suivre pour la Turquie
En réalité, tous les problèmes identitaires que la Turquie connaît depuis des décennies et qu'Erdogan tente de résoudre depuis 2003 ne concernent pas la Tunisie. La Tunisie n'a jamais connu de conflits inter-ethniques, et respecte tous ses citoyens, quelle que soit leur origine; la Tunisie est fière de son histoire et de son passé, de la fondation de Carthage à celle de Kairouan, sans exclusive; la Tunisie n'a pas honte de sa religion, et malgré les projets de l'ancien dictateur, n'est pas devenue un allié d'Israël; la Tunisie est riche de son plurilinguisme, et n'a aucun désir d'interdire l'usage d'une langue ou d'une autre; en résumé, la Tunisie n'a pas honte d'elle-même. Pourquoi la Tunisie devrait-elle donc s'inspirer d'un pays comme la Turquie ? Ce serait plutôt à la Turquie de s'inspirer du modèle tunisien, tolérant depuis toujours, démocratique depuis quelques semaines. Car, au cas où Ennahdha ne l'aurait pas remarqué, du Caire à Benghazi, de Bahreïn à Damas, les peuples arabes, unis par la même espérance, ont les yeux aujourd'hui braqués vers Tunis, et pas vers Istanbul.


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