On dit que l'artiste ne meurt jamais sauf quand on l'oublie. Et l'on dit aussi que «la reconnaissance est la mémoire du cœur». L'œuvre de Tahar Gharsa est vivante. Elle perpétue un riche patrimoine s'étendant de sa relation exceptionnelle avec son père spirituel Khemaïs Tarnane, à son fils bien méritant Zied Gharsa. De «Machmoum El Fell» à «El Ouachma» en passant par «Feh el ambar feh» et «El jebia wil bir winnaoura», Tahar Gharsa a su faire ce mariage succulent entre des textes et des musiques bien tunisiennes avec des joyaux hérités de l'époque andalouse, qui fait partie intégrante de notre histoire. Les «waslas» du malouf, que beaucoup d'entre nous adorent, sont chantées avec cette aisance qui facilite leur assimilation par nos jeunes générations. Dans certaines villes comme Testour, on continue à chanter le malouf dans les cérémonies de mariage. Le mérite de Tahar Gharsa est d'avoir «démocratisé» cette culture musicale sans fioriture ni chichi. «Alif ya Soltani», «Ya achiqine dhek echaar», «Al Kawnou ila jamalikom»... Tous ces morceaux résonnent dans notre mémoire tout comme ses chansons «populaires» au sens raffiné du terme : «Khatem Hbibti», «Kahlet Lahdheb», «Tlammet Lahbeb». Nos chanteurs n'hésitent pas à les emprunter allègrement dans les cérémonies, sans parler de la célèbre «Taalilet Laaroussa» sans laquelle les mariages n'ont pas de sens. Décédé à soixante-dix ans (1933-2003), Tahar Gharsa est parti trop tôt. Il avait la capacité d'enrichir davantage la bibliothèque de la chanson tunisienne par ses compositions. C'est une référence non seulement dans le malouf, mais aussi dans la pure chanson authentique tunisienne. Ses élèves issus de la «Rachidia» s'en souviendront longtemps. Parti donc il y a huit ans, on souhaiterait que soit organisé un hommage mérité à cet homme discret, aimant, généreux et humble, plutôt que de fêter ces artistes exceptionnels cent ans après leur naissance quand tous leurs amis se seront éteints et que plus personne ne saura raconter les bons souvenirs de leur vraie vie. Il est bon également qu'en passant, la Rachidia se souvienne de sa science, de son art et de son apport à cette institution pour que l'objectif essentiel visé par «la plus vieille association de musique arabe» (76 ans) reste à jamais la défense de la chanson authentique et du patrimoine.