Par Adel KAANICHE* La mondialisation, telle qu'elle se présente, ne peut favoriser que le 1/5 des habitants du globe; alors que les 4/5 restants souffrent de plus en plus de la pauvreté et sont menacés par la famine, due principalement au chômage et à la baisse des salaires. Pour remédier au désastre causé par la mondialisation, notre pays ne doit pas agir en solo; il doit coordonner ses efforts avec les pays environnants. L'UMA pourrait être le cadre idéal pour des concertations sur le plan économique, à condition qu'elle résolve l'éternel problème entre l'Algérie et le Maroc qui entrave toute action commune et empêche réellement la création d'une zone économique maghrébine. Devant ce blocage, la solution nous viendrait peut être du succès des révolutions égyptienne et tunisienne, en attendant la réussite de la révolution libyenne; ce qui pourrait nous ouvrir les portes d'une coopération bénéfique pour les trois peuples. Cette vision tournée vers l'Est peut s'ouvrir sans doute sur une opportunité, la création d'un nouvel espace économique nord-africain. Il incombe aux partis en Tunisie d'instaurer un dialogue fructueux qui pourrait aider l'Etat dans ses choix économiques et politiques, choix qui lui permettraient de sortir de l'impasse. Une nouvelle génération qui attend de prendre le flambeau La Tunisie de l'après-révolution passe par une période transitoire, partagée entre une génération ayant vécu l'essentiel de sa vie active au 20e siècle et de nouvelles générations appartenant au 21e siècle, la première de ces nouvelles générations qui s'apprête à recevoir le flambeau des mains de ses aînés, devrait, faute de couper radicalement avec la manière de penser de ses prédécesseurs, se débarrasser tout de même de certains de leurs réflexes. Sur le plan comportemental, cette nouvelle génération devrait éviter les réactions émotionnelles et les partis-pris irréfléchis, et éradiquer les réflexes tribaux et régionalistes enregistrés dernièrement dans plusieurs régions. C'est un phénomène que nous croyons disparu après l'indépendance, mais qui, malheureusement, réapparaît sous une forme sanglante. Pour y remédier, il faut non seulement mener des campagnes de sensibilisation, mais aussi et surtout déployer tous les moyens dont nous disposons pour améliorer les conditions de vie dans ces régions et ce, le plus rapidement possible. Il convient également de faire participer les jeunes de toutes les régions aux responsabilités politiques nationales, afin de leur donner les mêmes chances, car toutes les contrées de notre pays sont chères à nos yeux. Les jeunes générations sont tenues également de se débarrasser du complexe d'infériorité vis-à-vis de l'Occident, tel qu'il a existé chez certains de leurs aînés qui avaient tendance à croire que tout ce qui provient de l'Occident est un modèle à suivre, et adoptent ses options, même pour résoudre les problèmes qui sont spécifiques à notre pays. Ainsi, par exemple, avons-nous adopté, sans réserves ni modifications, les consignes de la Banque mondiale et du FMI. Cela a perturbé notre économie et a creusé l'écart entre les classes, amenuisant la classe moyenne qui était un facteur de stabilité dans notre pays. Sur le plan politique, il est du devoir de nos jeunes de se convaincre de la nécessité de l'alternance dans le pouvoir, afin de protéger les institutions du pays de tout dérapage qui pourrait guetter notre jeune démocratie. La génération des politiciens depuis l'indépendance a consommé sa part de responsabilités au-delà de toute raison, empiétant sur le droit de leurs cadets à assurer la leur. Cela explique que des figures politiques anciennes ont perduré, sans interruption, durant des décennies successives, sans se soucier du principe de l'alternance même à l'intérieur du parti unique. De même, et sur le plan de l'organisation administrative, il est temps d'opter pour une véritable décentralisation; chaque région doit être dotée d'un conseil, à l'image d'un gouvernement régional, auquel des fonds devraient être octroyés; ces fonds seraient extraits du budget national et permettraient aux régions de prendre en charge leur propre développement économique et social. Cette alternative est maintenant possible grâce à l'existence de cadres compétents et de personnels qualifiés, dans toutes les contrées du pays. Sur un autre plan, les générations qui s'apprêtent à tenir les rênes de l'action politique sont tenues de consentir à ce que les mouvements politiques fondés sur des idéologies islamiques modérées, fassent partie du paysage politique tunisien. Les adeptes de ces mouvements devraient, à leur tour, s'imprégner de l'idée que le travail politique est fondé sur la relativité, et que personne ne peut se prétendre détenteur de la vérité, ou investi d'un pouvoir divin. Ces mouvements doivent être imbus de principes démocratiques et de la nécessité de laisser le choix au peuple, dans toutes ces options. Ce n'est pas un hasard si l'expérience turque à réussi; sa réussite est due au fait que le parti islamique issu d'élections démocratiques maintient et protège, efficacement, les institutions du pays, en sauvegardant les acquis sociaux du peuple Turc. C'est là uniquement le secret de sa réussite. Pour revenir à l'aspect économique, personne ne doute que la marge d'action laissée aux Etats s'est énormément réduite, vu l'hégémonie des institutions économiques internationales et leur intervention dans les affaires intérieures des pays. Malheureusement, les décisions promulguées par ces organisations n'accordent aucune importance à l'aspect social; d'ailleurs ce sont les ministres des Finances et les gouverneurs des Banques centrales qui participent aux réunions de ces organisations, négligeant l'apport qui pourrait être celui des ministres de l'Emploi. Il incombe aux responsables tunisiens de faire la part des choses pour n'accepter que les recommandations qui s'adaptent à notre économie sans s'attendre à être félicités par les dirigeants de ces organismes. Gouvernements à venir et défis Les gouvernements à venir seront confrontés à de grands défis, dont, au premier plan, les changements rapides que connaît le monde; la rapidité caractérise de plus en plus notre époque. Les pays eux-mêmes sont acculés à avoir une vision d'avenir prompte et claire. C'est la raison pour laquelle une réforme profonde de l'enseignement s'impose. Il s'agit d'un côté d'améliorer le niveau des études bien entendu, et d'un autre côté, établir une coordination entre les études et l'emploi. Le deuxième défi à relever consiste à remédier au manque de plus en plus ressenti des ressources naturelles, et notamment dans le secteur des hydrocarbures. Cela nécessite la mise en place d'alternatives dans le domaine des énergies nouvelles qui représentent une issue pour l'avenir. C'est d'autant plus urgent que les factures ménagères ont atteint un niveau de hausse insoutenable pour nos concitoyens. Le troisième défi concerne l'invasion de notre espace culturel par des chaînes satellitaires de télévision qui influent sur le comportement de l'individu à travers le monde; dans ce domaine, le défi est d'aider nos concitoyens à éviter les écueils d'une consommation excessive et déraisonnable. Parmi les solutions envisageables il y a l'amélioration du transport public afin d'amener le citoyen moyen à délaisser sa voiture, en milieu de semaine — l'adoption de la séance unique pour le travail administratif afin de réduire les dépenses individuelles et la création de mutuelles et de coopératives commerciales pour permettre aux salariés d'effectuer leurs achats avec des prix réduits. Notre pays attend des gouvernements à venir une réforme économique globale de nature à assurer à chaque citoyen une amélioration de ses conditions de vie et lui procurer le bien-être auquel il aspire car cela est plus important que de coller un pourcentage de développement économique sur le dos de chaque année qui passe. En réalisant ces objectifs, on aura réalisé l'un des objectifs de la révolution, celui de la dignité; quant à son autre objectif, la liberté, seule une véritable démocratie pourra le réaliser.