Par Habib DLALA * Nous n'invalidons rien de cette volonté fortement inclinée à élire les responsables des établissements d'enseignement supérieur en disant qu'il y a un malaise dans les rangs des universitaires quant à l'avenir de leurs institutions. Ce malaise, faut-il le préciser, tient justement à une décision pour le moins hâtive parce qu'issue d'un passage ministériel plus furtif que provisoire, dans un contexte où la conspuation n'était pas un événement rare. Il tient aussi au fait que le personnel enseignant-chercheur n'a pas été directement associé au processus de négociation des modalités du suffrage, même si la majorité de ce personnel reste persuadée de la pertinence du choix électoral, de la persévérance des organes de tutelle à l'œuvre et du zèle réformateur d'un syndicat qui ne désarme pas. Etrange volonté de changement qui veut réduire la concertation à une négociation bipartite et finirait par instaurer inutilement un climat de suspicion au sein de la communauté des universitaires. Il ne s'agit pas d'entrer ici dans un débat sur les intentions premières des initiateurs de ce changement mais sur le fait que la réforme du service public qu'est l'université ne doit pas emprunter le seul canal de la revendication d'un partage de pouvoir de gestion même si l'objectif est d'infléchir le primat d'un centralisme contraignant, peu motivant, stérile et quelquefois répressif. La logique veut, qu'à l'inverse, la réflexion sur les modalités de la gouvernance précède l'élection de ses acteurs, lesquels acteurs auront dans un deuxième temps le loisir de la mettre en œuvre de manière consensuelle. Le paradoxe est donc de taille‑: à la charnière de ce changement autorisé par une surprenante révolution, faut-il commencer par élire, dès à présent et pour un mandant de trois ans renouvelable une fois, tous les paliers de la hiérarchie ou plutôt engager la réflexion sur le mode de gestion ou de gestion gouvernancielle de nos institutions universitaires ? Toute la question est de savoir quel pied mettre avant l'autre pour avancer sûrement et sans risque d'incohérence. En attendant les grandes manœuvres pour une bonne conduite de soi, pour une articulation adéquate des droits et responsabilités des acteurs à plus long terme, il faut bien que nos institutions fonctionnent du mieux possible, sans inverser les finalités et les rôles. Nous espérons que la vigueur de nos élus permettra de définir des choix mesurés pour le compte d'une pluralité d'intervenants, en faveur d'une meilleure qualité de service, d'une plus grande employabilité. Nous espérons aussi que les nouveaux présidents d'université élus joueront le rôle d'interface qui est la leur, entre toutes les structures et les assemblées élues et les organes de tutelle, pour assurer la cohérence de tout l'édifice et pour que le département de l'enseignement supérieur et de la recherche scientifique ne soit pas une succession de ruptures. A l'aube de cette belle aventure démocratique qui nous engage tous au premier degré, il n'est pas vain de reprendre la question de l'avenir de notre université, partant d'un bilan-diagnostic dûment établi, et de réfléchir d'abord et collectivement au mode de gestion et de fonctionnement qui réponde au mieux à nos espérances. Le diagnostic Est-il besoin de rappeler ici que, depuis près de quinze ans, le système d'enseignement supérieur tunisien a subi de profondes mutations sous l'effet de décisions successives marquant, avant le 14 janvier 2011, trois passages ministériels bien différenciés. Il s'agit des décisions relatives à l'amélioration des rendements des établissements, à l'instauration de la société de la connaissance et de la décentralisation universitaire, et enfin, à l'adhésion forcée au processus de Bologne. Les réformes qui en découlèrent ont généré tour à tour‑: • L'adoption du système de semestrialisation et de notation compensée, accompagné de la facilitation du passage au niveau de l'école de base, et en corollaire de cela, l'augmentation substantielle des taux de succès; • La multiplication des filières et des établissements, en même temps que l'introduction des nouvelles technologies et l'enseignement généralisé et obligatoire de l'anglais et des droits de l'Homme‑(‑!‑); • La modernisation de l'enseignement supérieur par une conversion rapide au système LMD. Faisant suite à la signature de l'accord de libre-échange avec l'Union européenne, l'arrimage des universités tunisiennes à l'espace européen de l'enseignement supérieur visait l'adoption d'un modèle de diplomation fondé sur le principe de comparabilité/compatibilité au moyen d'un système de crédits capitalisables, l'adoption de procédures d'habilitation et d'évaluation (système d'assurance qualité) et l'autonomisation des universités par un processus de contractualisation assorti d'un système de gestion par objectif. La conjugaison de ces choix a abouti au quadruplement des effectifs étudiants entre 1995 et 2010, avec une accélération spectaculaire de la cadence entre 2000 et 2005. On arrive ainsi à une massification pour le moins outrancière. La réforme LMD, pièce maîtresse de la modernisation de l'enseignement supérieur, apparaît, dans ce contexte de massification qu'en réalité elle n'a pas provoquée, comme le moyen d'une mise à niveau des formations et d'une rénovation pédagogique aidant à améliorer l'employabilité des parcours et des diplômes nationaux. La priorité du ministère de tutelle, qui n'a pas en fait vocation à promouvoir l'emploi, fut accordée à la diversification des parcours et la professionnalisation sous pression des cursus (à hauteur des deux tiers). Mais, trop de professionnalisation tue la professionnalisation ! Insistons-y, l'instauration du système LMD s'est réalisée de manière centralisée en moins de cinq ans à l'indifférence des milieux professionnels peu inclinés à offrir l'appui qui convient, notamment les opportunités de stages et de travail, particulièrement dans les régions où le tissu économique est peu fourni. Avançant à tâtons, la contractualisation/autonomisation des entités universitaires n'a pas produit, en dehors d'inopérants contrats signés avec les universités, les résultats escomptés. Quant à l'assurance qualité, qui s'est limitée à une double évaluation interne et externe des institutions d'enseignement supérieur et à un «Programme d'appui à la qualité» financé par la Banque mondiale, n'a eu (à part quelques rares certifications et quelques beaux projets PAQ) d'incidences sur le fonctionnement et la vie des institutions universitaires tunisiennes. Ainsi, il n'est point besoin d'hésiter aujourd'hui à reconnaître courageusement l'incapacité du système à gérer la massification, l'insertion professionnelle et le contrôle de la qualité des offres de formation, de l'encadrement et de la direction des établissements. Dans le sillage de la révolution pour la liberté et de la dignité, on est en situation de devoir faire des choix. L'exigence de tendre au meilleur devient alors une vive préoccupation. Pour cela, les modèles ne manquent pas et donnent à penser à des recentrages et mises à niveau mûrement réfléchis dans un véritable cadre institutionnel gouvernanciel ouvert et participatif, en dehors de toute manœuvre électoraliste. La nouvelle donne devrait permettre d'adapter l'enseignement supérieur et la recherche scientifique aux besoins sociaux et économiques du pays et de valoriser l'effort des enseignants-chercheurs, la réussite et l'insertion professionnelle des diplômés de l'université, sans tourner le dos à l'étranger.