Des pierres contre les bombes lacrymogènes et canons à eau: entre heurts directs et courses-poursuites, des milliers de manifestants opposés à une réforme constitutionnelle au Sénégal affrontaient durement jeudi des forces de l'ordre à Dakar, transformée par endroits en ville morte. Jeudi 09H00 (locales et GMT), devant l'Assemblée nationale, près du centre-ville. Ils sont des milliers, en majorité des jeunes, à se masser pour crier leur colère face à des partisans du pouvoir, moins nombreux, moins audibles. "Libérez la Nation! Libérez le pays!", peut-on lire sur des pancartes. C'est ici que se déroulent les affrontements les plus sévères. Depuis le milieu de matinée, les députés examinent un projet de loi du président Abdoulaye Wade. Dans sa version initiale, le texte visait à modifier la Constitution pour permettre aux Sénégalais d'élire simultanément, dès février 2012, un président et un vice-président sur la base d'un "ticket" qui, pour l'emporter, pouvait ne recueillir au premier tour que 25% des suffrages exprimés. Une des dispositions les plus décriées, que M. Wade a finalement décidé d'abandonner pour conserver la majorité absolue (50% plus une voix) actuellement requise. Pendant que les députés discutent dans l'hémicyle, à l'extérieur des forces de l'ordre déployées sur place tentent de disperser les manifestants à coups de gaz lacrymogènes et de canons à eau, en vain. De petits groupes jettent des pierres, allument des feux sur certaines artères, érigent des barricades de fortune, incendient des véhicules... "Je ne suis pas ici pour Wade, ni pour le gouvernement. Je suis ici pour le pays, car on doit le défendre. J'ai un frère député libéral (du parti au pouvoir), s'il vote pour cette loi, c'est un traître à la Nation", confie un jeune sous couvert d'anonymat. Il s'aide d'une canne pour marcher mais tient à se faire entendre. Courant pour se mettre à l'abri avant de revenir taquiner les policiers, un autre jeune, en nage, lâche: "Si on doit payer de nos vies et prendre les armes, nous le ferons, pour défendre notre peuple, nos droits!" "Ce n'est pas fini, nous allons continuer jusqu'à ce soir, et nous allons briser la ligne policière de l'Assemblée", clame Saliou Amar, étudiant universitaire venu manifester après que certains de ses camarades ont fait sortir des élèves de leurs salles d'examen pour l'entrée en sixième. Par endroits, Dakar est une ville morte, avec bureaux, commerces fermés, rues désertées de leurs piétons et véhicules. Rue Carnot, au Plateau. Des badauds regardent une annexe fumante du ministère de la Justice. Elle vient d'être saccagée et incendiée. D'autres bâtiments publics situés dans le Plateau ou des bâtiments de responsables du parti présidentiel subissent le même sort à travers la ville. Le siège de la RTS, chaîne de radio-télévision publique, situé Avenue Malick Sy (centre-nord de Dakar) a aussi "fait les frais du défoulement des manifestants, particulièrement leurs parcs automobiles", rapporte l'Agence de presse sénégalaise (officielle). "Je n'ai jamais vu une telle mobilisation, une telle violence de la part des Sénégalais", affirme Babacar Sow, la cinquantaine, barbe poivre et sel, qui se présente simplement comme "un citoyen" venu manifester contre le projet de loi visant à modifier la Constitution. Comme lui, d'autres adultes et personnes plus âgées sont là, déterminées mais légèrement en retrait des affrontements. Selon plusieurs Sénégalais, jamais contestation n'avait atteint une telle ampleur depuis l'arrivée au pouvoir en 2000 de M. Wade, 85 ans et candidat à un nouveau mandat.