De l'humour ? Les peuples en font depuis toujours pour résister à la pression et à l'oppression. Car lorsqu'on ne peut pas faire autrement, il vaut mieux en rire. Rire des failles de la gouvernance, des lourdeurs de la bureaucratie, des aveuglements de la hiérarchie et de l'irrationalité des décisions autoritaires. Provoquer le rire ou le sourire, c'est remplacer un état interne «désagréable» par un autre «agréable». C'est mettre en jeu «les douces émotions de l'âme» pour ne pas mourir idiot. Ces dictateurs déchus, ou en voie de l'être, ne savent pas à quel point ils ont déjà été déchus dans nos têtes et dans nos blagues «chuchotées» de bouche à oreille. Grisés par le pouvoir, ils ne s'imaginent pas qu'un jour viendra où toutes ces émotions (la tristesse, le dégoût, la peur ou la colère), vont finir par se confondre, dépasser le domaine subjectif de l'individu pour être portées par la foule. Ces émotions capables du pire comme du meilleur ont fait la révolution. C'est peut-être ainsi que la nôtre était si spontanée. Aucun Tunisien ne croyait que le Tunisien était capable d'agir contre cette négativité du monde qui s'avançait sur lui. La colère l'avait emporté. Les poings fermés, il était descendu dans la rue pour crier «dégage‑!» au dictateur. Mais ayant déjà cette «douceur dans l'âme» le peuple tunisien a «dansé» sa révolution. Il n'y a qu'à revoir les photos prises sur le vif pour apprécier la chorégraphie des mains qui disent «dégage !». Il n'y a qu'à relire toutes ces notes d'humour publiées par les internautes sur Facebook et Twitter durant les semaines qui ont précédé et suivi le 14 janvier, pour admirer l'intelligence émotionnelle des Tunisiens. Cérès Editions les a collectionnées pour nous dans un livre intitulé «Vous m'avez beaucoup déchu». «Rira bien qui rira le dernier» semblent nous dire tous ces twitters et ces facebookers dans ce livre qui réussit par son contenu et sa mise en page à faire bouger votre grand zygomatique, le muscle qui relève les commissures des lèvres, et l'orbiculaire inférieur qui fait se plisser les yeux. Si le premier obéit à votre volonté, le second est mis en jeu par les «douces émotions de l'âme». Par conséquent vous riez et pas d'un rire menteur. Parfois même, vous avez les larmes aux yeux. Car le meilleur de la révolution édité dans ce livre vous rappellera combien «vous l'avez déchu».