Nous avons reçu du Dr Khadija Touhami l'opinion suivante concernant la situation du CDN qui, nous le concédons, souffre d'une certaine léthargie. Nous la publions telle quelle. La révolution a délivré toutes les grandes institutions nationales de la junte des directeurs généraux nommés et imposés par le régime politique déchu. Le Centre de documentation nationale (CDN) attend encore et impatiemment sa délivrance. Avant d'exposer quelques détails du détournement de cette institution au profit du régime de Ben Ali et proposer les conditions de sa réhabilitation, il est nécessaire de connaître les grandes lignes de son évolution historique. Le Centre de documentation nationale est une institution qui a suivi l'évolution du nouvel Etat tunisien indépendant. D'une unité documentaire au sein du premier secrétariat d'Etat à l'Information, département attaché directement à la présidence, en 1957, il atteint le statut d'un Centre de documentation nationale en 1982. Les missions du CDN ont évolué avec son développement. Sa mission de base consistait à «fournir des données exhaustives et pertinentes aux décideurs du nouvel Etat indépendant». Peu à peu, une deuxième mission est apparue, vu son rattachement au secrétariat d'Etat à l'Information, l'institution est devenue la destination privilégiée des journalistes, où ils puisaient toutes les données nécessaires à leurs interventions médiatiques. Et c'est ainsi que le centre s'est vu implicitement mis au service des médias et de l'information en général. D'année en année, le nombre des institutions et de chercheurs sollicitant les services du CDN a augmenté pour lui attribuer une troisième mission qui est la «recherche documentaire» dans un fonds richement varié. En effet, pour accomplir ces missions, le CDN a constitué un fonds documentaire aux supports multiples, composé de périodiques (plus de 2.200 titres entre courants et éteints, tunisiens et étrangers) d'ouvrages (plus de 15.000 livres) et de dossiers documentaires (plus de 10.000) sur la vie nationale et internationale pendant le XXe siècle, et qui furent la fierté du centre et de ses documentalistes. Avant 1987, la salle de consultation du centre recevait l'élite tunisienne de tous les secteurs et de toutes les tendances politiques, de telle sorte que rares étaient les études académiques qui ne mentionnaient pas le CDN dans leurs références. Ce dernier rivalisait avec la Bibliothèque nationale et les Archives nationales par ses services documentaires de très haut niveau, assurés par des professionnels de la documentation sous la direction de M. Abdelbéki Dali, son premier directeur, qui a œuvré activement pour doter le centre d'un statut, d'une équipe de documentalistes diplômés et d'un local approprié pour préserver le fonds documentaire et offrir l'espace nécessaire à la tâche documentaire. Après 1987, le CDN a été aspiré par le système politique déchu. Il a été détourné de ses objectifs. Une "junte" de directeurs généraux est sélectionnée pour «applaudir la stérilité et la médiocrité du système». Le budget et le matériel du centre étaient à la disposition de ces commis pour éditer les «éloquents» discours de Ben Ali et gérer les stocks de ses posters et, finalement, pour créer un portrait qui a coûté horriblement cher aux contribuables, uniquement pour afficher les malheureuses réalisations du président déchu. Des intrus et des étrangers à la documentation ont prêté main-forte à ces commis, contre des promotions illégales contractées dans l'oisiveté et la nonchalance. Ils ont affaibli l'institution en banalisant ses objectifs et en écartant ses documentalistes, les seuls maîtres de la profession, qui ont lutté fermement et dignement contre ce détournement abusif et destructif. Après le 14 janvier, ces intrus sont encore là. Ils essaient d'envelopper le CDN dans une ambiance d'inertie et d'hibernation pour éviter de déclencher toute action de jugement.Ils prennent encore l'institution en otage, planqués dans leurs bureaux feutrés (Internet, télévision…). Ils continuent à enfoncer le centre dans le désordre et la marginalité, au détriment de son rôle essentiel pour la mémorisation de notre révolution et de toutes ses incidences sur la vie nationale. En effet, les documentalistes restent les seuls professionnels capables, techniquement et scientifiquement, de mémoriser la révolution avec toutes les composantes de sa genèse et les détails de son déroulement. Le documentaliste est tenu d'à exécuter un travail de recherche, de regroupement, de dépouillement, d'exploitation et de publication. Dans l'absolu, l'objet de la profession est donc «contenir l'instant historique pour le mémoriser dans toute son authenticité, afin de le consigner dans le livre de l'histoire humaine». Heureusement que le CDN abrite encore une honorable élite de documentalistes qui sont capables, malgré toutes les frustrations qu'ils ont subies, de réhabiliter l'institution pour qu'elle récupère sa place et joue son rôle sur la nouvelle scène nationale. Pour cela, cette élite, appuyée par son expérience et sa qualification, attire vivement l'attention des responsables du premier ministère, l'autorité de tutelle sur la nécessité de procéder au plus vite à l'assainissement du Centre de documentation nationale pour qu'il reprenne sa vocation initiale et pour permettre à ses documentalistes de gérer leur institution dans le respect et la dignité de leur profession et, surtout, pour les soutenir à engager sa réhabilitation.