Hier matin, à la maison de la culture Ibn Khaldoun, a eu lieu la première réunion publique du comité du nouveau centre de recherche scientifique et des études stratégiques baptisé «le Centre Ibn Khaldoun». En présence de quelques journalistes, d'universitaires et de chercheurs, Abou Yareb Marzouki, universitaire et philosophe de son état et président d'honneur de ce projet, a tenu à nous éclairer sur les raisons de la création de ce centre, ses objectifs et sa feuille de route. Tout d'abord, l'activité du Centre Ibn Khaldoun s'articulera autour de deux axes essentiels : la recherche scientifique et les études stratégiques. «L'intérêt que nous portons à la pensée d'Ibn Khaldoun, sans cesse grandissant, ne vient pas du désir unique de la promouvoir et de la diffuser mais plutôt de notre volonté de l'actualiser et de la rendre encore plus utile pour la compréhension et la construction de notre société post-révolution», explique-t-il. «Pourtant, l'idée existait déjà depuis 2006 alors que nous fêtions l'année Ibn Khaldoun, conscient que la pensée de cet ‘‘intellectuel'' n'a pas été suffisamment diffusée et mise en exergue», ajoute le vice-président Mouldi Youssfi. Il faut dire que ce centre semble vouloir rompre avec l'image classique d'Ibn Khaldoun. Il se place plutôt dans une dynamique de réflexion théorique à même de proposer des solutions concrètes à certaines problématiques des plus actuelles, telles que le développement humain, la définition même du rôle de la société civile, la civilisation et l'intellect, le rôle de l'individu dans la dynamique sociétale… Au fait, et comme le précise Abou Yareb Marzouki dans sa présentation du rôle du Centre Ibn Khaldoun, la pensée de ce dernier est déjà une révolution dans la vision classique de la philosophie et de l'Histoire. Considéré comme étant le père de la sociologie, «Al Omrane» Ibn Khaldoun était un pionnier et un visionnaire en faisant de la philosophie non plus cette science des réalités globales, immuables en dehors de tout processus historique, mais plutôt l'étude de choses au centre d'un processus d'évolution en mouvement. La conception de la chose philosophique sous l'optique de l'histoire a donné naissance à cette nouvelle science ou mode de pensée de la réalité en pleine mutation. Quoi de plus actuel que ce discours qui tient compte de l'accumulation des différentes expériences humaines et qui place l'être humain dans son contexte social, son rôle au sein de son groupe ? D'après Abou Yareb Marzouki, la révolution tunisienne a confirmé la théorie d'Ibn Khaldoun, en précisant que le soulèvement de décembre-janvier 2011 n'a rien de spontané et encore moins d'arbitraire, il est vrai que l'étincelle fut l'immolation de Bouazizi, mais que notre révolution et celle de tous les pays arabes est le résultat de plus de deux siècles de réflexions, de combats politique, intellectuel et social, de modernisme et d'évolution. Pour finir, Abou Yareb Marzouki a répondu par la même occasion à une des questions des plus brûlantes de l'actualité, à savoir la laïcité et le modernisme. En précisant qu'avant tout débat d'idées, il faut commencer par la définition des concepts. La modernité est un concept vague qui est à son sens ou original ou hybride. Marzouki lève son bouclier contre toute forme de fanatisme et contre tous les défenseurs de la pensée unique qu'elle soit religieuse ou laïque. Il dénonce tout aveuglement et tout refus de critique appelant à l'honnêteté intellectuelle, à l'esprit critique et au respect des individualités de leur pensée.