Mohamed Hachicha expose de nouveau sa céramique artistique dans la nouvelle galerie Antinéa. Il est connu pour son action continue par une présence active au niveau de la formation dans ce domaine, mais aussi au niveau de l'action culturelle. Après avoir participé à l'établissement d'une formation en céramique prometteuse au Centre des arts du feu à Nabeul, Mohamed Hachicha est allé renforcer, avec un grand succès, les structures et la démarche nouvelle de formation et d'apprentissage au sein du Centre national de la céramique d'art Sidi Kacem Jelizi, ainsi qu'au sein des instituts des beaux-arts et des arts et métiers. L'action de promotion de la céramique faite par Mohamed Hachicha se prolongea même à l'intérieur du pays (Sejnène, Gafsa, Siliana, Sned...). Nous pouvons dire que la céramique artistique connaît,de nouveau en Tunisie, grâce à Mohamed Hachicha, un regain de vitalité qui dépasse en profondeur et en intensité les efforts entrepris par les pionniers de la céramique artistique et revient de plus en plus au-devant de la scène artistique. Mohamed Hachicha a contribué après Gorgi, Meriam Cheltout, Faouzi Chtioui et quelques autres, à dépasser l'indifférence presque générale dans laquelle est tombée la céramique artistique après les années 80, dans un pays dont le patrimoine céramique est pourtant plusieurs fois millénaire. L'exposition proposée par Mohamed Hachicha aujourd'hui semble se préoccuper en premier lieu de ce patrimoine si lourd à traiter et à porter. La céramique patrimoniale usuelle à riche et magnifique typologie est toujours présente à Nabeul, à Moknine, à Djerba—malgré le fait qu'elle ait perdu beaucoup de sa valeur fonctionnelle et de ses références — et a établi pendant de longs siècles une adéquation quasi totale et mécanique entre ses formes et ses fonctions. La céramique artistique, qui s'est développée à partir des années 80 en Tunisie, a rencontré tout de suite le patrimoine de la céramique et de l'adéquation qui caractérisent les rapports entre forme et fonction de ses objets. Beaucoup d'objets en céramique ont perdu aujourd'hui leur fonction. Certaines formes maintenues, malgré cette perte, ont perdu leur âme et sont devenues folkloriques et réifiées. Le problème est, certes, vécu intensément par d'autres secteurs de l'artisanat mais il est réellement vécu avec beaucoup d'acuité dans le domaine de la céramique. Mohamed Hachicha pense que l'approche artistique pourrait aider à surmonter la problématique en essayant de ne pas bousculer notre patrimoine et en essayant de maintenir le lien avec lui. Mohamed Hachicha semble avoir compris que la céramique artistique pourrait créer peut-être des formes ayant un lien avec nos référence patrimoniales, mais en leur assignant une nouvelle fonction, une fonction artistique. L'objet en céramique reste toujours fabriqué en argile et subit une, deux ou même trois cuissons. Nous constatons que l'objet artistique est fabriqué dans le même matériau que l'objet usuel traditionnel, alors que l'objet artistique est proposé dans une nouvelle configuration qui suggère déjà une nouvelle destination et fonction. Les nouvelles configurations sont constituées de nouvelles formes creuses, plates, cylindriques, rectangulaires, circulaires, coniques, fermées ou ouvertes sur les côtés telles des pirogues ; et sont traitées d'une manière très élaborée et osée. Ces formes sont traditionnelles mais elles sont déviées de leur forme première. Les motifs utilisés restent aussi traditionnels, certes, mais ont subi un traitement inhabituel. Ces motifs émaillés, gravés, dessinés animent les formes mais autrement. La calligraphie coufique de l'empreinte des stèles s'incruste dans les plats, les sphères, les panneaux et les cylindres. La calligraphie anime de son rythme serein les surfaces et les volumes. D'autres motifs, comme la représentation de l'oiseau de Kallaline, sont partout présents sur toutes les formes et sur tous les objets en céramique. La calligraphie arabe sollicitée par le céramiste, les représentations de l'oiseau de Kallaline, les plaques de couleurs émaillées, les lignes courbes, droites ou brisées connaissent la même déviation fonctionnelle. Les plaques de céramique de toutes formes et dimensions accrochées aux murs ne sont plus des plaques de faïence ou de céramique d'isolation, mais de véritables tableaux autonomes où ce qui est mis en jeu est une nouvelle combinaison entre les couleurs traitées au feu, les lignes et les graphismes. N'est-ce pas là une nouvelle dimension de la céramique, une nouvelle fonction au service de nouvelles formes. Comment peut-on innerver la céramique en tout autre métier d'art avec cet esprit qui consiste à trouver une adéquation nouvelle entre forme et fonction en sollicitant notre mémoire de signes. L'innovation et la création au niveau de l'art peuvent-elles nous servir de modèle ou de paradigme pour développer un art usuel et un design tant recherché et susceptible de nous aider à résoudre le problème de la crise de l'objet usuel dans notre pays. Le sursaut salvateur peut-il venir de l'art?