Les arts traditionnels sont des formes d'expression qui représentent la valeur intrinsèque du pays et traduisent l'imaginaire collectif du peuple, son âme, son identité. Après le déclin qu'ils ont connu vers la fin du XIXe siècle, il y a eu plusieurs initiatives de réconciliation, de promotion et de remise à jour de la production artisanale, considérée comme valeur patrimoniale. Ceci s'aperçoit à travers les efforts de l'Office national de l'artisanat, l'Institut national du patrimoine, les différentes associations de sauvegarde des médinas, la reconnaissance officielle du ministère de la Culture, qui a accouplé culture et patrimoine à partir de sa nouvelle nomination, en 2004, «ministère de la Culture et de la Sauvegarde du patrimoine», et, finalement, la fixation d'un rendez-vous annuel, au mois de mars, pendant lequel le pays célèbre le patrimoine, en vue d'assurer une transmission perpétuelle des canons et des modèles des anciens, et de préserver le timbre du pays contre les importations de la société de consommation et la mécanisation des produits. Cette année, àla foire du Kram, la 27e édition du Salon de la création artisanale a organisé un séminaire les 17 et 18 mars, ayant pour finalité d'élaborer une charte nationale de l'artisanat afin de se défier du poids menaçant de la mondialisation et de la société de consommation. Parmi les invités, l'historien Abdelhamid Larguèche qui a présidé un atelier dont le but est d'actualiser la terminologie, les concepts et les notions relatifs à l'activité artisanale. Il a ainsi ouvert la séance en donnant une communication autour du statut de l'artiste et de celui de l'artisan, tout en expliquant les raisons qui induisent la société à distinguer entre une œuvre artistique et une œuvre artisanale. Un débat intense s'en est suivi. Ainsi, la polémique qu'avait suscitée la désignation «art traditionnel» était au centre de la discussion. La notion «art» désigne une activité créative exprimant un idéal de beauté, et le Beau est désormais relatif. Par la suite, pour certains, il ne convient pas d'employer ce nom suivi de l'adjectif «traditionnel» pour désigner une production dite «primitive» ou par élévation «arts mineurs». Jadis, les produits artisanaux se fabriquaient pour la satisfaction des besoins quotidiens. Ainsi, au-delàdu trait fonctionnel, il n'y a aucun culte de l'art pour l'art. D'ailleurs on ne signe pas une œuvre quelle que soit sa beauté, et on ignore le nom du premier homme qui a créé des modèles. Il n'y a même pas une conscience de la valeur esthétique des objets qu'ils produisent, même si leur fabrication tient de la symétrie, de l'harmonie, de la beauté à travers les formes et les couleurs. Ceci étant dit, aujourd'hui, la matière première de la production a subi une mutation, le rituel-même de la fabrication a intégré de nouvelles valeurs et démarches productives, afin de satisfaire la demande du marché, dont la clientèle est à la fois autochtone (citadine) et touristique. La production artisanale est quasi mécanisée par le recours à un matériel moderne dans les nouveaux lieux de fabrication, le travail collectif s'est substitué à un travail individuel, ou à la chaîne, les moules facilitent la fabrication en série du même objet. Tout ceci interpelle un métissage de modèles anciens avec une touche moderne, et une quête esthétique qui l'emporte au détriment du trait utilitaire de l'objet artisanal. En effet, le retour de la nouvelle génération aux arts traditionnels marque une nouvelle mentalité. Un recours à la création des collections d'objets traditionnels, un style différent dans le design, et le décor des maisons, en mélangeant meubles modernes parfois importés et objets d'artisanat, des tapis qui couvrent les murs et des ustensiles de cuisine en guise de bibelots… Cette évolution du phénomène de l'artisanat dans toute sa variété (vêtements, ustensiles, ameublement…) est la conséquence du changement du mode de vie et de la mentalité, qui, par nostalgie, cherche à réadapter le patrimonial au moderne et à éviter par la suite de figer les objets traditionnels. Pour cette raison, l'historien Abdelhamid Larguèche a proposé en fin de séance de substituer l'adjectif arabe taqlidiya, qui, dans son sens littéral, restreint la production artisanale à la répétition imitative, et à la primitivité, par l'adjectif tourathiya, révélant plutôt l'identité culturelle du pays et du produit artisanal. Le débat a permis de dégager de nouveaux concepts susceptibles d'exprimer les tendances en cours, caractérisées par la synergie entre artisanat d'art et créativité artistique: le concept de potentiel créatif qu'il s'agit de rendre opératoire rend compte de l'élévation du niveau de l'artisan moderne et l'irruption en même temps des métiers d'art et du patrimoine dans le paysage artisanal tunisien.