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La transition et l'électrification médiatique de la politique
Opinion
Publié dans La Presse de Tunisie le 22 - 07 - 2011

Ben Ali éconduit, la vie politique et les médias ont vu sauter la chape qui les contenait conjointement. Après la merveilleuse victoire des médias sociaux sur la communication quadrillée par l'Etat, on assiste à l'électrification médiatique de la vie politique tunisienne. Qu'on interprète le phénomène comme un facteur de désordre ou comme un terrain de surenchère, le survoltage de l'opinion est une émotion supplémentaire en cette phase transitoire. Un retour historique sur le rôle des médias dans l'élaboration de la vie et des idées politiques met en perspective les péripéties actuelles. La vitesse des événements trouble la vision, d'autant que la vie politique tunisienne reste soumise à des pratiques difficiles à supprimer d'un rapide revers de main. Le pouvoir de la rumeur entretient les soupçons de retour à la censure, et les Tunisiens sevrés de propagande, la voient encore partout. C'est que les deux mondes, politique et médiatique, au sang mêlé, ne peuvent pas exister l'un sans l'autre, encore moins se transformer séparément. L'explosion de la parole a bouleversé les rapports ankylosés entre les deux, remettant en question leur fonctionnement, éprouvant leur crédibilité. La crise de confiance transforme cette relation passionnelle en guerre larvée. Le gouvernement (qui en est à sa quatrième formation) et les partis (cent à ce jour) réclament des médias (142 publications, 14 radios, 5 chaînes de télévision) qu'ils soient au service de la transition, tandis que les médias, nouveaux et anciens, s'érigent en défenseurs ou attaquants d'un jeu qui est en réalité commun. La disparité des messages se heurte au manque de hiérarchisation de l'information, installant une ambiance de guérilla entre médias sociaux et traditionnels et institutions gouvernementales. Malgré des efforts certains, instances politiques et médias dévoilent des incohérences qui couvrent en partie les manipulations et entretiennent l'instabilité de l'opinion.
Avant l'effondrement du régime, le contrôle sécuritaire avait gelé la vie politique comme il avait paralysé journaux, radios, chaînes de télévision, canaux pétrifiés, nivelés et formatés. Dans le tourbillon de la chute apparaissent des tensions inédites entre médias et politique, sommés de répondre aux impératifs de changement de leurs moyens, de leurs méthodes et de leur finalité. C'est beaucoup trop à la fois, avec les mêmes hommes de surcroît.
L'ensemble du pays a basculé, suite à l'action de médias sociaux efficacement connectés à des faits de haute teneur, puis aux canaux d'information classiques. Une liaison vertueuse entre colère, désespoir, répression et résistance a débouché, en moins d'un mois, sur un événement qui a médusé les Tunisiens et le monde. Cet enchaînement heureux est encore perçu, six mois après, comme un miracle qui a impulsé une accélération exceptionnelle du temps, une frénésie dans les événements et les prises de position. Depuis janvier, le pays vit à cent à l'heure après des décennies d'une vie publique lénifiée, à la fois atomisée et de plus en plus centralisée par un Etat qui a assis une administration solide avec les moyens et la technologie de son temps. Politique et médias ont toujours croisé leurs armes et leurs objectifs ; un rapide survol de leur liaison permet d'éclairer certains nœuds de l'histoire contemporaine de la Tunisie lisible, entre autres, à travers celle des médias. Bourguiba a commencé sa carrière politique par le journalisme à la fin des années 1920, les journaux étant entrés dans la vie tunisienne avec les premières réformes de l'Etat hussaynite de la seconde moitié du XIXe siècle. Les premiers postes de TSF entrent au compte-gouttes dans la vie civile après la Première Guerre mondiale, et l'usage de la radio se répand avant le déclenchement de la seconde (Radio-Tunis naît en 1938). Le nationalisme tunisien se développe grâce à ces deux médias qui ont porté l'essentiel des transformations sociales et culturelles de la première moitié du XXe siècle. A l'Indépendance, l'élite, mais aussi une partie des classes moyennes, démographiquement minoritaires mais instruites, ont investi la politique et construit les bases du nouvel Etat sur ces deux vecteurs essentiels. Par ailleurs, l'usage de l'image ayant commencé à poindre depuis le début du siècle, en ville et à travers la jeunesse, la photographie et le cinéma entrent, à leur tour, dans les habitudes de consommation, dans la vie privée comme dans la sphère publique. Aussi, les retrouve-t-on mobilisés pour accompagner l'activité et les réalisations de la nouvelle classe politique arrivée au pouvoir après 1956. Le développement de la publicité commerçante, la multiplication de l'illustration dans l'édition, la production des Actualités tunisiennes (1959) sont des exemples de l'action culturelle et politique de cette nouvelle ère, que l'on voit ainsi inscrite dans le courant global de la "société du spectacle". Si l'Etat tunisien l'avait pu, tous ces vecteurs, évidemment nationalisés dès l'Indépendance (en 1958 naît la Société anonyme tunisienne pour la promotion et l'expansion cinématographique — Satpec —), c.a.d mis au service de l'appareil politique en gestation, auraient complété les autres instruments de gouvernement et les autres monopoles qu'il cherchait à instaurer. Or, la technologie est une marchandise, un facteur économique qui obéit à une logique mondiale, une donne qui s'impose à l'Etat. Le libéralisme du XXe siècle a accouché des canaux de communication tout en les portant et en les développant dans le monde entier. Le capitalisme s'est renforcé à travers la circulation médiatique, insidieuse et spectaculaire, fabricatrice de comportements, incubatrice d'idées et porteuse de mutations mentales et matérielles. Le marché tunisien branché sur les innovations technologiques voit entrer la télévision dans les années 1960, un média domestique qui a rapidement supplanté le cinéma par son efficacité sur le plan de la propagande politique. A côté de la presse écrite et de la radio, le règne de Bourguiba consacre l'information télévisée comme moyen privilégié de brosser la vitrine du pouvoir et les Tunisiens se souviennent encore des discours sur l'histoire du mouvement national qui mobilisaient les foules devant les appareils de télévision et les transistors, comme on se souvient des films des baignades, promenades et directives présidentielles, une production répétitive à souhait que l'arrivée de Ben Ali allait facilement balayer en guise de gage de changement. Même si le culte de la personnalité est prolongé et la censure renforcée, l'introduction de l'informatique et l'économie mondiale du savoir et de l'information introduisent des formes de communication qui servent l'illusion de rompre avec le passé. Les médias vont servir Ben Ali, les nouvelles technologies sculptent en même temps, le soubassement d'un rapport nouveau entre l'Etat et l'individu en Tunisie, une architecture souterraine qui a fini par avoir raison de la censure tentaculaire du régime. La revendication de liberté, conséquence de ce nouveau rapport et le besoin de démocratie, aspiration de plus en plus pressante chez les individus restent superbement ignorés par la technologie étatique. En effet, Internet, installé et développé avec les années 1990, et les télécommunications bouleversent, comme partout, les logiques économiques, les temporalités et les instruments du pouvoir politique comme ils transforment la vie des gens ordinaires, la relation avec l'extérieur du pays, les habitudes et les formes de l'échange. En même temps que s'accélèrent les besoins et les effets de la médiatisation du pouvoir, se développe chez les individus une autre conception de l'information, d'autres exigences envers la politique. Une des explications du 14 janvier se trouve certainement dans ce lent divorce, dans la fracture silencieuse et profonde que le régime de Ben Ali a creusé entre une information procédurière, hautaine et policière et l'impérieux besoin de savoir des Tunisiens passés à l'ère numérique. La jeunesse cyberdissidente qui a relayé les événements de décembre 2010-janvier 2011 a comblé avec bonheur et succès ce manque de liberté. En lézardant le béton de la censure, elle a créé un moment de concorde révolutionnaire autour de l'immolation de Bouazizi, orchestrant les suites de l'insurrection et leur révélation au reste du monde.
Ce moment de jonction fructueuse a relié les différents modes de communication (presse, radio, télévision, téléphonie cellulaire, internet). Il a connecté le pays au monde extérieur à la barbe de ses gouvernants, brisant le carcan étatique, créant un prodige dans la vie politique des Tunisiens, peut-être le premier si l'événement du 14 janvier parvient à rivaliser avec la geste de l'indépendance dans leur mémoire future. Le journalisme a porté le nationalisme, la radio et la télévision ont servi la puissance de l'Etat national. Les médias sociaux instaureront-ils la démocratie en Tunisie ? Pour le moment, une des questions immédiates que pose cette fièvre médiatique se situe dans cette guérilla entre des médias divergents dont les usagers se livrent à une recomposition du paysage et des luttes politiciennes, comme ils cherchent à redéfinir leurs pouvoirs réciproques. La génération digitale d'aujourd'hui et le journalisme d'antan, les réseaux sociaux et les médias traditionnels entrés dans la danse de la transition politique opéreront-ils les transformations intrinsèques qui leur permettront de se rapprocher sans renoncer à leurs différences ? Cette lutte d'audiences créera-t-elle des expressions prolongeant les effets vertueux du moment révolutionnaire, produira-t-elle une synergie qui rompe avec la mise dos à dos des Tunisiens et du pouvoir ? Un rapport nouveau du Tunisien au politique va-t-il naître de cette nervosité médiatique qui allie simultanéité et besoin de savoir, consumérisme et volonté d'agir sur le réel, individualisme et désir collectif ? La fébrilité média-politicienne actuelle débouchera-t- elle sur les symptômes d'une vie politique plus démocratique que ces gesticulations de façade ? La transition politique à court et moyen terme s'écrit dans le cheminement conjugué entre médias et politique, où la guerre des audiences doit contribuer à construire la confiance de chacun d'aller vers le futur.


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