Hier, le monde entier a célébré la Journée mondiale de la liberté de la presse. Instaurée au mois de décembre 1993 par l'Assemblée générale des Nations unies, elle a revêtu, chez nous, un goût particulier puisqu'elle a été fêtée, pour la première fois, dans un climat de réelle liberté. Les jours qui ont suivi cette désormais historique et mémorable journée du vendredi 14 janvier ont été riches en événements de tous genres, ce qui a permis aux médias de s'investir dans cette nouvelle optique et aux journalistes de s'en donner à cœur joie comme pour prendre leur revanche sur un système qui les a longtemps marginalisés et instrumentalisés. Du coup, tous les " interdits " sont bravés et toutes les frontières sont tombées. Au milieu de cette effervescence et de ce bouillonnement, la presse tunisienne, écrite et audiovisuelle, a tenté, tant bien que mal, de se positionner comme un élément catalyseur de la révolution, après que la presse électronique en a été le détonateur. Et s'il est encore tôt pour évaluer le comportement des médias au cours de cette période post-révolution, on pourra objecter qu'au-delà des ratés des premières semaines et de l'embrouillamini qui a marqué le paysage médiatique, reflet, faut-il le dire du paysage politique, les médias tunisiens étaient, dans l'ensemble, au rendez-vous de cette étape historique du pays. L'essor de la presse est inhérent aux conditions de la pratique de la profession par les journalistes. Ces conditions, d'ordre moral et matériel, ne peuvent être favorisées que si chaque intervenant dans le secteur, ou plutôt chaque acteur, s'assume convenablement. La responsabilité de l'Etat est évidente, à cet égard. Il doit garantir les conditions d'exercice de la liberté de la presse dans le respect du droit à l'information. Les textes régissant la profession doivent faire objet de modifications, quand c'est nécessaire, pour mettre les journalistes à l'abri de tout ce qui pourrait limiter leur champ d'activité, tout en assurant les meilleures conditions possibles aux professionnels du secteur. Ces mesures vont de la révision du code de la presse (certains appellent à sa suppression) pour l'adapter aux nouvelles mutations, aux encouragements spécifiques en passant par la revalorisation de la profession par le renforcement de la proportion des journalistes professionnels dans les rédactions. Mais l'Etat ne peut en aucun cas se substituer aux entreprises de presse dont la responsabilité n'est pas des moindres. L'amélioration des conditions matérielles de travail, le recrutement des jeunes diplômés, leur encadrement et leur formation ainsi que l'implication de la rédaction dans la prise des décisions concernant l'orientation, la programmation, le choix de la ligne éditoriale sont le gage d'un meilleur produit. Le développement constant que connaît le monde de l'information, le progrès des idées et les mutations que vit, de nos jours, la société, font, inéluctablement, naître de nouveaux besoins et de nouvelles responsabilités. C'est pourquoi les entreprises de presse sont condamnées à se mettre en phase avec cette évolution et cette révolution en intégrant les nouvelles techniques rédactionnelles et les nouvelles technologies de la communication. Et les journalistes dans tout cela ? De par leur position sur l'échiquier, ils sont les plus exposés aux différentes appréciations de la société et de l'opinion publique de manière générale. Faiseurs d'opinion, ils sont, souvent, décriés, à tort ou à raison, pour ne pas avoir su ou pu reproduire ou prévoir des faits et des événements sous prétexte qu'ils font l'objet de quelque contrainte ou que ces faits et ces événements sont l'objet de quelque tabou. Cette situation s'applique à tous les gens de la profession, partout dans le monde. Se devant d'être à l'abri de toutes les tentations et de toutes les interventions de nature à faire dévier la profession de sa noble mission, ils sont appelés à refléter le plus fidèlement possible les idées ayant cours dans la société. C'est pourquoi, chaque organe de presse se doit d'assumer la tâche qui est la sienne, sans interférence avec les autres. La presse des partis politiques a un rôle éminemment important à jouer auprès des adhérents en particulier et de l'opinion publique en général du fait qu'elle mobilise, sensibilise, informe, explique et défend, à force d'arguments, les programmes, les choix et les orientations des formations dont elle est l'organe. Alors que celle, dite indépendante, ne doit en aucun cas se substituer à la presse partisane ni encore moins à la presse dite gouvernementale ou publique. Elle doit, plutôt, les compléter tout en demeurant différente, refléter un autre regard, élargir son angle de vue pour embrasser d'autres préoccupations. Bref, elle doit avoir sa propre ligne éditoriale. Penser différemment et écrire autrement, tel devrait être le credo de la presse tunisienne. Contrairement à une idée développée par certains, nous avons de bons journalistes en Tunisie, de très bons même, dont la profession doit tirer profit. Certains ont été formés à l'école de la vie pour avoir affronté tant de difficultés dans l'exercice de leur métier. Il ne saurait y avoir de sujets tabous dans les démocraties, sauf ceux touchant à l'intégrité du pays et à l'intérêt supérieur de la nation, à l'atteinte â l'honneur ou à la réputation des personnes et la collusion avec les extrémismes de tous bords. En cette période post-révolution, le peuple entier attend beaucoup des médias nationaux. Ils se doivent d'accompagner la transition avec le seul souci d'informer sans désinformer, d'expliquer sans trop s'impliquer, d'orienter sans s'immiscer dans " la cuisine interne " de quelque partie que ce soit et de servir d'éclaireurs dans cette étape encore marquée par l'incertitude et la confusion. Le paysage médiatique mondial étant en perpétuelle transformation, grâce à l'utilisation de nouvelles technologies de pointe, nous ne pouvons et nous ne devons pas, non plus, demeurer en reste. La Tunisie qui s'est libérée de la chape de plomb a, aujourd'hui et plus que jamais, besoin d'une presse libre capable de s'ériger en contre-pouvoir indispensable dans toute démocratie.