“ Les médias reflètent ce que disent les gens, les gens reflètent ce que disent les médias. Ne va-t-on jamais se lasser de cet abrutissant jeu de miroirs? ”, se demande Amin Mâalouf. La réponse à cette question s'avère aujourd'hui flamboyante : le jeu de miroirs devient de plus en plus amusant, mais aussi en harmonie avec le progrès technologique qui, à présent, accompagne énergiquement la circulation de l'information et qui va de la presse, à la radio (les “ causeries au coin du feu ” de Franklin Delano Roosevelt), au cinéma (les films de propagande des régimes totalitaires), à la télévision, jusqu'aux réseaux sociaux, Internet et le marketing direct. On vit donc dans un monde régi par les médias, un monde médiatisé, voire surmédiatisé. Dans la vie politique, en particulier, c'est la culture du commérage qui domine fortement, dans la mesure où les médias ont toujours joué un rôle important dans la vie politique, constituant un relais de la vie politique envers le public. Ce rôle se trouve maintenant de plus en plus amplifié. Cette influence a ainsi conduit à appeler la presse le “ quatrième pouvoir ”, étant donné que les médias et l'opinion publique n'évoluent jamais indépendamment. Les médias permettent la diffusion de l'actualité à un large public d'où leur appellation "mass media". Et c'est exactement là qu'on réalise que les medias sont une arme à double tranchant. Plaçant certains débats et événements sur le devant de la scène, ils peuvent aussi en occulter d'autres. Ils sont donc soumis à une éthique : exactitude de l'information, respect de la vie privée, vérification des sources. D'ailleurs, il est incontournable d'insister sur ce point là, spécialement si on vient d'être initiés à cette immense vague d'informations et de débats et si on ne sait pas encore comment s'autocontrôler, ne pas se faire manipuler et construire un jugement objectif et indépendant. Les Tunisiens ont, justement, connu, parallèlement à la fameuse révolution “ bouazizienne ”, un flot énorme d'informations provenant de différentes sources locales, mais surtout internationales ainsi qu'un sursaut des médias tunisiens après un silence qui semblait s'éteniser. Aujourd'hui, plusieurs questions nous viennent à l'esprit : à quel point nos sources d'informations sont-elles crédibles et objectives ? Pourquoi a-t-on l'impression que certaines sources ne font qu'aggraver la situation et intoxiquer les esprits ? Où se situent les médias tunisiens dans tout ça ? Réagiront-ils encore avec leur étourderie habituelle ? Et sinon, quel doit être exactement leur rôle dans cette étape transitoire assez délicate ? Opinion publique tunisienne face à la déformation des informations Ces derniers jours, les Tunisiens, en Tunisie et ailleurs, semblaient “ assoiffés ” d'informations, ce qui est évidemment légitime. C'est l'avenir de leur peuple qui est maintenant en jeu. Effectivement, les médias internationaux et les réseaux locaux étaient là pour nous : une infinité d'informations, d'interprétations et d'analyses politiques. Au début, ceci a été bénéfique pour secouer vivement les Tunisiens qui dormaient encore, ce qui a conduit, bien entendu, à l'historique révolution contre l'affreux sceptre qui semblait être imbattable. On ne peut jamais nier ceci, mais il faut cependant garder l'esprit critique, filtrer et interpréter prudemment les images, les chiffres et les interventions. On sait tous maintenant que certaines sources audiovisuelles, comme Al Jazira par exemple qui attire une très grande audience en Tunisie et dans le monde arabe, adorent brasser du vent pour détourner l'orage et fonctionnent aujourd'hui, et depuis la nuit des temps, en se basant sur le fait que “ rien ne captive autant les gens que le spectacle d'une tragédie ”. Ceci est désormais vrai et c'est le joker de telles sources qui ont tendance à exagérer les faits, amplifier les chiffres, déformer l'information, diffuser des images saumâtres et déplaisantes en boucle, et imposer aux téléspectateurs des attitudes brutales et extrémistes qui ne font qu'imprégner et intoxiquer les esprits. Le téléspectateur se trouve finalement perdu et épuisé face à des informations déformées et parfois contradictoires qu'il reçoit par-ci et par-là. Or, ce qu'il demande à présent, ce n'est autre que l'objectivité, la transparence et la reconnaissance du pluralisme, afin de pouvoir fonder un jugement constructif qui nous poussera vers l'avant. Nous devons donc être au-dessus de tout cela. Soyons vigilants, nous sommes assez intelligents, cultivés et conscients pour éviter de nous faire manipuler et comprendre que finalement, chaque grève et chaque manifestation sont un enjeu de lutte entre les acteurs mobilisés et les médias... qui le sont aussi. Car mobilisés, ils le sont effectivement, non simplement pour couvrir l'action, mais aussi pour la soumettre à leurs verdicts : indirectement, par sa mise en mots et en images, et directement, par la mise en scène construite par les journaux télévisés et la mise en perspective offerte par les commentateurs de presse écrite. Peut-on parler maintenant de médias tunisiens de “ l'après-Ben Ali ” ? Rappelons d'abord que les médias tunisiens étaient contrôlés et orientés vers les intérêts du dictateur de l'ancien régime, puisque les autorités tunisiennes étaient déterminées à réduire au silence absolu les voix qui critiquent leur politique ou dénoncent le bilan déplorable du pays en matière de respect des droits humains. D'ailleurs, Al Jazira et les autres chaînes internationales ont profité du "blackout" et du manque de reportages en profondeur et détaillés dans les médias tunisiens, pour attirer l'attention des téléspectateurs tunisiens et arabes, dans une tentative d'augmenter leur présence médiatique. Cependant, personne ne peut oublier le rôle qu'ont joué les Tunisiens à travers les réseaux sociaux, notamment Facebook, suite au suicide de l'héros historique “ Bouazizi ”. On dirait que tous les Tunisiens se sont transformés en journalistes durant ce mois ! Evidemment, l'ancien régime en était conscient et a essayé de pirater les comptes des internautes tunisiens, tout comme il a bloqué, auparavant, l'accès à "Youtube" et "Dailymotion", mais c'était trop tard, parce que les Tunisiens avaient déjà créé leur propre cyberculture, en ayant marre des mensonges et des sketchs qu'on diffusait tout le temps, à travers les médias. Ainsi, petit à petit, l'ancien régime perdit le contrôle sur la révolution de la jeunesse tunisienne qui a conduit aussi à une révolution médiatique qui touche aujourd'hui, suite à la chute du régime, tous les médias tunisiens qui semblent s'être épanouis pour une fois. La question qui se pose maintenant est la suivante : "On a obtenu enfin la liberté d'expression, mais savons-nous comment l'utiliser ?" Qu'attendons-nous des médias tunisiens suite à leur “ relooking ”, et quel est le rôle d'un jeune Tunisien dont la parole compte énormément aujourd'hui ? C'est vrai que certains médias ont fait appel aux émotions pour recueillir l'adhésion du public mais le peuple tunisien leur a prouvé que la vie est une tragédie pour celui qui sent, et une comédie pour celui qui pense. Les médias tunisiens, à leur tour, doivent confirmer ceci : les téléspectateurs tunisiens ont vu ces derniers jours une efflorescence d'un grand nombre de jeunes talents, on a vu de bonnes réflexions, une jeunesse bien cultivée qui doit maintenant rafraîchir la vie médiatique en Tunisie et combler le vide qu'on vivait, par leurs idées et leurs interventions, non seulement concernant la vie politique mais aussi la vie culturelle, scientifique, etc. Aujourd'hui, on s'exprimera, mais pas à mezza voce cette fois-ci, on critiquera mais non pas timidement comme jadis. Néanmoins, il faut quand même garder à l'esprit qu'on ne peut jamais tout détruire et recommencer à zéro. On innovera, certes, mais sur des bases bien solides, débutant avant tout par le respect d'autrui, la favorisation du pluralisme mais surtout l'objectivité. “ L'opinion publique a besoin de coupables, si possible des puissants, le rôle des médias consiste aussi à résister à ces fantasmes collectifs ”, dit-on. La Tunisie fera ainsi une expérience nouvelle. Celle de la liberté de la presse. C'est la voix de la rue qui s'exprime, c'est la voix de la jeunesse qui arrache enfin sa place, et s'imprime dans les journaux. L'ombre de la propagande ne planera plus sur nos colonnes. Seulement, gardons à l'esprit le fait que le bon usage de la liberté quand il se tourne en habitude s'appelle vertu; et le mauvais usage de la liberté quand il se tourne en habitude s'appelle vice. Nous savons donc très bien maintenant ce dont nous avons besoin: une vie médiatique tunisienne fraîche, active et animée. Et en tant que recepteurs, restons vigilants, relativisons les faits et distinguons entre le jounalisme d'actualité, celui d'opinion ou encore celui à sensation. Sachons enfin que les médias sont incontestablement un outil très pratique, si toutefois on a la force de soutenir ses opinions et que l'on sait à quoi s'attendre.