Par Khaled TEBOURBI Historiquement, c'est vrai, les Tunisiens n'ont pas «la main au vote». Mais s'ils n'accourent pas s'inscrire sur les listes électorales, aujourd'hui c'est parce qu'on ne fait, non plus, pas grand-chose pour les y attirer. Le «On» ce sont ceux qui ont pris le relais et les commandes de la révolution : - Le gouvernement provisoire qui gère tant bien que mal les affaires courantes mais qui n'a toujours pas réponse à tout. - La Haute instance qui est censée incarner le consensus national mais qui tangue à la moindre désunion. - Les partis politiques (les quatre ou cinq d'entre les cent) dont les discours contredisent souvent les actes démocratiques en apparence, «sectaires» dans les faits. Ce sont aussi les médias, les télévisions en premier qui ont des audiences par millions et qui ne fonctionnent pour ainsi dire qu'en deçà démocratique, la majorité des citoyens ou par-delà les événements. Multipliant les opinions et les intervenants, créditant par moments les rumeurs, prenant, à d'autres, position. Creusant souvent les écarts, accentuant les incompréhensions, alors que dans cette phase de transition la majorité des citoyens auraient eu davantage besoin qu'on leur simplifie les questions, qu'on les éclaire sur les enjeux de la vie publique, plus simplement qu'on les aide à mûrir et à faire ses choix. Figuration Le Premier ministre commentait, l'autre jour, les graves incidents de La Kasbah, de Nabeul et de Menzel-Bourguiba. Réprobation, condamnation, résolution ferme de s'en tenir à la date des élections, mais sur les auteurs des violences et sur leurs condamnations en particulier rien qu'un lapidaire: «Nous savons qui mais nous en resterons là». Quand un pays vient de vivre de tels troubles et que son chef de gouvernement désigne des coupables sans les nommer, c'est qu'il y a ou défaut de communication, ou défaut de vérité. Le fait, après cette démonstration «par le vide», est que les Tunisiens auraient plutôt tendance à ne pas croire ce que leur disent leurs gouvernants. Plus grave peut-être : ils se sentent exclus des affaires de la cité. Il n'étaient pas mieux lotis sous la dictature. Alors pourquoi se hâter vers les urnes? Serait-ce encore pour faire de la figuration? Hors réalité Un débat, vendredi soir, sur «Nessma TV». Le thème? «Pourquoi les indépendants sont-ils moins connus que les partis?». On a eu beau chercher le rapport avec les dures réalités du moment. En vain. C'étaient des discussions «à contretemps», compliquées, sophistiquées, formulées (à l'exception de l'invité traditionnellement rebelle, Me Abdelaziz Mzoughi) ou dans un littéral pompeux ou dans un franco-arabe assurément inaudible pour nombre de nos compatriotes des régions. C'est cela qui désespère les Tunisiens de certains médias de l'après-révolution, c'est cette propension qu'ils ont à gloser parmi les orateurs et à «remballer» le bon public loin. A distance. Même procédé. Motus sur la constitution Les partis, eux, creusent un abîme avec les citoyens. Peut-être même, avec leurs propres adhérents. A ce jour encore on ne les entend pas proférer mot au sujet de notre future constitution. Pourtant, les élections du 23 octobre ne seront, principalement, tenues que dans ce but. Mais qu'importe l'évidence, les formations «gros calibres» continuent de laisser croire que l'on votera pour un parlement… un gouvernement et un président. Encore une stratégie par «le vide». Si les Tunisiens mordent à l'appât, s'ils vont aux élections comme le souhaitent ces bons messieurs, les yeux bandés, alors, oui, ces derniers auront la voie libre devant eux, et la constituante ne sera plus qu'une passerelle facile vers le pouvoir de longue durée. Sur le plan éthique, que vaut cette stratégie? On a pu le dire : elle «vaut» confiscation de la volonté du peuple. Il n'y a pas de quoi en être fier. Sur le plan pratique, nul ne peut prévoir où elle peut mener exactement. Peut-être à un retour en boomerang contre ses propres concepteurs. La stratégie du vide ne réussit pas toujours en démocratie. A preuve! les Tunisiens tournent carrément le dos.