MOSCOU (AP) — L'accident d'avion qui a tué hier le Président Lech Kaczynski et nombre de hauts dignitaires polonais a entraîné un réchauffement soudain entre la Russie et la Pologne, dont les relations sont placées sous le signe d'une hostilité historique. Si un resserrement des liens politiques n'est pas encore à l'ordre du jour, le ministre polonais des Affaires étrangères, Radoslaw Sikorski, connu pour sa méfiance vis-à-vis de la Russie, a affirmé que le crash constituait une opportunité pour les deux pays. «J'ignore s'il est question d'une percée politique, car de nombreuses questions nous opposent à la Russie, mais il s'agit d'une percée émotionnelle», a déclaré M. Sikorski sur les ondes de la radio nationale TOK FM. «Il semble que la réaction personnelle de Vladimir Poutine est le résultat d'une prise de conscience de ce que l'Union soviétique a fait subir à la Pologne», a-t-il ajouté. L'avion présidentiel polonais s'est écrasé dans un épais brouillard, samedi à Smolensk (ouest de la Russie), après plusieurs tentatives d'atterrissage. Il transportait 96 personnes, dont le président, son épouse et de hauts responsables polonais, qui devaient assister à une cérémonie d'hommage aux 22.000 officiers et intellectuels polonais exécutés en 1940 par la police secrète soviétique à Katyn, près de la frontière biélorusse. Depuis, la Pologne a été profondément touchée par les gestes de sympathie de la Russie, un pays qui a longtemps tenté de l'asservir. Le Premier ministre Vladimir Poutine s'est immédiatement rendu sur les lieux de l'accident, donnant l'accolade à son homologue polonais, Donald Tusk. Dimanche, un bouquet de roses rouges à la main, il était apparu réellement secoué alors qu'il escortait le cercueil de Lech Kaczynski vers l'avion qui devait ramener sa dépouille à Varsovie. «C'est bien sûr tout d'abord une tragédie pour la Pologne et le peuple polonais, mais c'est aussi notre tragédie. Nous pleurons avec vous», avait déclaré M. Poutine à la télévision polonaise. Ses mots ont touché une corde sensible chez de nombreux Polonais, comme Slawomir Pawelski, 88 ans. Poutine «n'est pas un tendre mais il m'a fait bonne impression», explique l'octogénaire. «C'est dommage que la réconciliation intervienne dans des circonstances aussi douloureuses et non au niveau diplomatique ou politique normal. Mais soyons heureux avec ce que nous avons, parce que cela ouvre la porte de l'amitié». La Russie avait décrété une journée de deuil national lundi, un geste inhabituel pour honorer les citoyens d'un autre pays. La veille, fait sans précédent, la télévision publique russe avait diffusé le film Katyn du cinéaste polonais Andrzej Wajda, consacré au massacre des officiers polonais par Staline. Le film de Wajda, réalisé en 2007, n'a pas été distribué en Russie, et a été diffusé pour la première fois la semaine dernière, sur la chaîne culturelle publique, peu regardée. Le massacre de Katyn, épisode douloureusement ancré dans la mémoire collective polonaise, reste méconnu des Russes‑: ce n'est qu'en 1990 que Moscou a commencé à reconnaître sa responsabilité dans ce massacre, l'histoire officielle soviétique l'ayant attribuée à l'Allemagne nazie. Selon le directeur du Centre pour les relations internationales de Varsovie, Eugeniusz Smolar, la diffusion du long-métrage peut aider les Russes à se réconcilier avec leur propre histoire. «Il est important pour l'amélioration de nos relations futures que les Russes conduisent un débat sur leur passé», a-t-il estimé. «Cela influencera aussi de manière positive l'avenir des relations russo-polonaises parce qu'on se comprendra mieux». Si la bonne volonté affichée ces derniers jours par la Russie et la Pologne peut constituer une chance pour les deux pays de dépasser leur sombre passé, il est peu probable qu'elle soit saisie, estime pour sa part Masha Lipman, analyste politique au centre Carnegie de Moscou. Pour la Pologne, il est primordial que la Russie reconnaisse sa pleine responsabilité dans les crimes commis contre les Polonais sous Staline, alors que Moscou a jusqu'ici refusé d'ouvrir ses archives liées au massacre de Katyn et de dévoiler les noms des exécutants. «Sans progrès sur Katyn, il n'y aura pas d'amélioration des relations» entre les deux pays, juge Mme Lipman.