On raconte qu'en se promenant dans les ruelles de la ville de Konya (Centre anatolien), Jalaleddine Roumi entendit les martèlements d'un bijoutier travaillant l'or. De chacun des coups du marteau retentissait le nom de Dieu et venait lui toucher le cœur. Il se mit alors à tourner. Plus tard et pendant des nuits entières, lui et ses amis dansèrent à l'écoute de poèmes, de musique et de chant. Ces réunions de danse furent appelées «Samaâ» (écoute). C'est vers le XVe siècle seulement que cette danse devint un rituel, accompagné alors par une forme musicale appelée «Ayin», correspondant aux étapes de la cérémonie. Durant sept siècles, cette cérémonie se développa jusqu'à atteindre aujourd'hui une forme qui associe le spirituel à une esthétique chorégraphique. Et c'est sous cette nouvelle forme qu'elle s'est réincarnée (encore et toujours !) mardi dernier au musée de Carthage, aux allures des «mawlawiyat» insufflées par les chants et les notes sacrés de la troupe «rawaa' at' tourath» (les splendeurs du patrimoine) d'Alep. C'est devant un auditoire nombreux et, pour le moins, mélomane que les musiciens et les quatre vocalistes se sont produits, présentant pour ce spectacle, intitulé «mawlawiya et "tarab" halabi», un takht plutôt classique (ney, qanûn, violon, luth et percussion). Le voyage mystique et dans le patrimoine de la prestigieuse école d'Alep, visitant des morceaux, sans doute les meilleurs de la musique syrienne, commence par un sammaï (composition) pour se poursuivre avec des liaisons de "wasla" (suite) entre "mouhachahat", "koudoud" et "mawawil" (déclamation développée sur un poème populaire). Chantant les grands poètes mystiques, les membres de ce groupe, conduit par Salah Bakdech, œuvrent comme tant d'autres à immortaliser ceux qui ont contribué à sauvegarder l'héritage musical arabe, en reprenant des pièces savantes du patrimoine et en les réinventant, tant sur le plan de la forme que sur celui du fond. Une touche de modernité était présente avec la danse et les mouvements de trois jeunes danseurs qui nous ont présenté deux versions de la danse «essamah» (le pardon) et, bien entendu, les tourbillonnantes et enivrantes rotations de la "mawlawiya". Les vocalistes se sont presque tous lancés, chacun à son tour guidé par les chants en chœur, dans des solos d'invocations religieuses et des louanges passionnelles au Prophète, mais ce fut sans conteste Mahmoud Farès, surtout quand il s'est baladé avec une égale réussite, entre "mawawil" et "qodoud", "ghazal" et "mouwachahat", qui a le plus entraîné le public par la force et la plénitude de sa voix. Quelle aisance dans les variations et dans les ornementations, en grave comme en aigu! Chantant plus que juste et maîtrisant à la perfection les techniques de l'exécution vocale, il a embarqué l'auditoire dans un univers fait de plaisir et de délectation dans la dernière destination de cet «Orient express» du "tarab".