Mis à l'écart en Tunisie, puis prêté en Libye, dans un pays en pleine révolte, le nouvel attaquant d'Evian-TG veut oublier une année de galères C'était le 8 avril 2010, Saber Khélifa ne risque pas de l'oublier. Ce jour-là, l'attaquant vient défier l'Espérance de Tunis, le prestigieux club auquel il appartient, sous le maillot de Hammam-Lif, ville côtière de la banlieue sud de Tunis où il a été prêté, Khélifa est sur un nuage. Alors âgé de vingt-trois ans, le jeune espoir tunisien, originaire d'une famille modeste de Gabès, oasis posée au bord de la Méditerranée, à quatre cents kilomètres au sud de Tunis, est en train de boucler sa meilleure saison (20 matches, 12 buts). Dès la 10e minute, il ouvre le score et, à la mi-temps, Hammam-Lif mène 3-0, à la surprise générale. Quarante-cinq minutes plus tard, l'Espérance a arraché le nul (3-3), mais a perdu des points dans la course au titre. Khelifa est accusé de «trahison» par les supporters du club de la capitale tunisienne. Dans les coursives du stade, il est même molesté. Sa carrière vient de prendre un virage inattendu. A l'intersaison, il n'imagine pas un instant revenir jouer à l'Espérance. Déjà en contact avec Evian-TG (alors promu en L2), qui a repéré un joueur «intéressant dans la vitesse et le déplacement, adroit devant le but» (dixit Pascal Dupraz, le directeur sportif de l'ETG), Khélifa fait savoir à ses dirigeants qu'il veut partir. Traumatisé par l'épisode du 8 avril, il engage le bras de fer en séchant les entraînements, puis un match, une attitude qui renforce le ressentiment des supporters à son égard. L'Espérance, décimée par les blessures, refuse de le transférer. Harcelé — ses proches assurent même qu'il a été mis sur écoute —, il reprend le championnat, moral en berne. A l'automne, il participe à la finale de la Ligue des champions africaine (0-5, 1-1 contre le TPMazembé, RDCongo). «Mais dans sa tête, c'était cassé», témoigne le Français Gérard Buscher, qui fut son entraîneur à l'Espérance puis à Hammam-Lif. Coincé à Benghazi, au cœur de l'insurrection Khelifa ne pense qu'à une chose, tenter l'aventure en Europe. Valenciennes, Nantes (L2), Neuchâtel Xamax (D1 suisse), sont sur les rangs, mais il a déjà choisi. Début janvier, l'attaquant fait l'aller-retour en Haute-Savoie pour signer un contrat de 3 ans avec Evian TG à compter de juillet 2011. Ses dirigeants de l'Espérance, qui voulaient le prolonger, sont furieux. «Ils espéraient toucher un peu d'argent sur un transfert et lui ont reproché de ne pas penser au club qui l'avait lancé», rapporte un journaliste local. A son retour en Tunisie, l'attaquant est écarté du groupe. Direction la Libye, où il est prêté au Al-Ahly Benghazi. Quelques jours plus tard, la révolte éclate au cœur d'une ville qui deviendra le bastion des opposants au dirigeant libyen Mouammar Kadhafi: «Il s'est retrouvé en plein milieu des évènements, il n'était pas question de foot», raconte son agent, Alexandre Mouelhi. Avec d'autres compatriotes, Khélifa lance un appel à son gouvernement pour rapatrier les ressortissants tunisiens. Finalement, il parvient à quitter la Libye via l'Egypte. Retour au pays. Pas à l'Espérance, où même s'il est toujours sous contrat, il est persona non grata. Pendant quatre mois, il va donc s'entraîner seul. Accueilli tantôt au Stade Gabésien (D2 tunisienne), son premier club, tantôt à Hammam-Lif. Le temps est long, les interrogations nombreuses. Il n'est plus appelé en équipe nationale (*), symbole d'un parcours en suspense. «Il était un peu en perdition», reconnaît Buscher. «Ç'a été un cauchemar pour lui. Heureusement, il savait qu'il y avait Evian derrière», poursuit un proche. En rejoignant les bords du lac Léman, il espère trouver de la sérénité, de la confiance. Et reprendre, à vingt-quatre ans, le fil d'une carrière qui lui a brutalement échappé un après-midi d'avril 2010. ______ (*) Il compte une sélection face au Botswana (0-1, le 17 novembre 2010)