Par Brahim OUESLATI Décisive sera la semaine en cours. Décisive pour le gouvernement, pour les partenaires politiques et pour la transition démocratique. Aujourd'hui, le Premier ministre, M. Béji Caïd Essebsi, doit recevoir les partis politiques représentés à la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique et tiendra demain un meeting avec les représentants des partis politiques, des instances nationales et des composantes de la société civile, le second depuis sa désignation à la tête du gouvernement provisoire. Un nouveau discours pour tenir tout le monde informé des priorités de l'étape en cours, mais aussi de ses difficultés et de ses défis. Un discours qu'on souhaiterait solennel car le moment est grave et le processus enclenché au lendemain du 14 janvier est déjà en panne. Loin de verser dans le pessimisme, on constate, avec beaucoup de regrets, que l'euphorie qui a suivi les premiers jours de la révolution s'estompe au fil des semaines et que les espoirs suscités par l'avènement d'une nouvelle page de l'histoire du pays faite de dignité, de liberté et de justice, s'effondrent comme un château de cartes. La situation paraît de plus en plus inextricable et le paysage devient pratiquement illisible à deux mois et quelques jours de la date des élections. Beaucoup de zones d'ombre subsistent et les dernières déclarations sur la journée du 14 janvier, au lieu de lever le doute, sont, au contraire, venues le renforcer. Plusieurs questions qui ne trouvent toujours pas de réponses continuent à tourmenter les esprits. L'opinion publique veut des réponses claires à des situations confuses. Elle veut connaître la vérité sur le déroulement des événements depuis le 17 décembre jusqu'à la fuite de l'ancien président, car certaines informations qui circulent prétendent qu'il y a eu des mains étrangères derrière tout ce qui s'est passé et tout ce qui se passe actuellement. Un complot prémédité ? Qui en tire les ficelles et les dividendes ? Le Premier ministre, lui-même, n'avait-il pas accusé sans les nommer des forces politiques d'être derrière les troubles, jetant par là même un pavé dans la mare? Des réponses au sujet du fonctionnement de la justice et à propos des rapports entre cette dernière et la police. Et puis ce qui se passe sur nos frontières sud est à ce jour inintelligible. Et la part de vérité de ces informations concernant des chargements d'armes qui transitent par notre pays vers la rébellion libyenne et cette pression exercée sur notre pays pour ouvrir ses frontières devant des forces étrangères, celles de l'Otan, pour entrer à Tripoli ? Et l'on se demande où est notre diplomatie dans tout ce qui se passe dans la région? Est-elle impliquée dans les négociations qui se déroulent actuellement sur notre territoire, à Djerba précisément, pour le règlement de la crise en Libye? Les retombées de cette crise sur notre économie mais aussi sur l'ensemble de la région ? Et la liste est encore longue des questions qui demeurent toujours en suspens. La rue gronde de nouveau et les mouvements de protestation ont repris après un intermède d'éclaircie de courte durée, se propageant à travers les régions telle une épidémie. La désaffection prononcée des Tunisiens et notamment les jeunes (un jeune sur cinq s'est volontairement inscrit) vis-à-vis des inscriptions sur les listes électorales sont une réponse sociale à une politique en crise. C'est aussi un revers pour tout le monde, gouvernement, partis, société civile, médias et les nombreuses instances qui ont vu le jour dans la foulée de la révolution. C'est encore un cinglant démenti pour ces sondages qui pullulent ces derniers temps et dont certains sont commandés pour une fin en soi. Tout le monde semble être conscient de cette situation. Mais chacun y va de sa propre interprétation, jetant la responsabilité, des fois l'opprobre, sur les autres et croyant détenir seul la vérité et les clés du succès de la transition. En parlant au nom du peuple et de la révolution. Plus démocrate que moi tu meurs. Les institutions clés de la République, justice et police surtout, sont malmenées, décrédibilisées et perturbées par leurs propres enfants. Ce qui n'est à l'honneur de personne. Car aussi bien la police que la justice ont besoin d'être réhabilitées pour pouvoir jouer le rôle qui est le leur en cette période délicate. Chercher à les enfoncer, à tort ou à raison, en sortant à chaque fois des slogans offensants ou des listes de corrompus risque de leur porter un coup fatal en les discréditant complètement aux yeux du peuple mais aussi du monde qui nous observe. Il n'y a pas de transition réussie sans un Etat de droit fort et respecté et sans une justice indépendante et impartiale. Au milieu de cette grisaille, certaines voix commencent à se lever pour appeler à l'apaisement de la situation et à l'esprit de responsabilité. Signé par trois des grandes composantes de la société civile, en l'occurrence l'Ugtt, le Conseil de l'ordre des avocats et la Ligue des droits de l'Homme, cet appel se veut en rupture avec d'autres qui versent dans le populisme et l'irresponsabilité. Elles appellent, également, «à éviter tout ce qui est de nature à attiser les tensions et à nourrir le sentiment de déception». De quoi rassurer, un tant soit peu, une opinion désorientée et perplexe. En ces moments difficiles, le gouvernement doit faire preuve de beaucoup plus de fermeté face à l'instabilité et à l'anarchie par la restauration de l'autorité de l'Etat qui se fait attendre. Sa mission première, en plus de la gestion des affaires courantes, n'est-elle pas «l'établissement de la sécurité et la sauvegarde de l'intégrité du pays».