Par Boujemaâ REMILI(* Nous avons assisté ces quelques derniers jours à une poussée d'adrénaline chez les forces démocratiques, qui n'ont pas hésité à exprimer leur colère concernant ce qui leur paraît comme une tentative d'escroquer le peuple tunisien, au moyen de ce qui ressemble à une absence de volonté politique pour que la justice soit rendue au sujet de tous les abus commis. C'est une réaction non seulement de bonne santé morale mais également légitime et salutaire, pour que l'on ne bâtisse pas sur du vent, en croyant tout changer alors que rien ne change. Mais nous avons besoin également d'un autre type de réaction, tout aussi salutaire que la première, celle qui consiste à dire que le peuple tunisien n'a pas pour seul horizon la liquidation des séquelles du passé mais aussi et dans le même ordre d'importance, celui de la construction de l'avenir. C'est dans l'équilibre entre souci de rupture et volonté de progresser que nous pouvons réussir. Or, sur ce deuxième plan, personne ne semble s'inquiéter outre mesure du fait que le pays commence à se complaire dans le sur-place et qu'une paralysie presque totale commence à s'installer. Il est vrai que quelques partis, parmi les plus respectables, ont présenté des «programmes». Ce qui est tout à fait à leur honneur. Mais il ne suffit pas de promettre le paradis ; encore faut-il montrer le chemin de l'effort, de la discipline, du travail, du sacrifice, de l'application et de l'abnégation pour y arriver. Car le développement est une affaire qui ne tombe pas du ciel mais qui se mérite. C'est aussi une affaire collective, qui n'obéit que très partiellement à la démonstration partisane. Et cela à propos au moins d'un point particulier. En effet, on se demande comment un parti qui se respecte peut-il avancer un programme de développement, soutenu par un schéma macroéconomique, sans qu'il passe par la «machine centrale de modélisation», actuellement détenue par les seuls services gouvernementaux ? Tout calcul de projection macroéconomique n'a aucune crédibilité s'il ne fait pas l'objet des simulations nécessaires pour en établir la cohérence. Même si les moyens de calcul dont disposent les services de l'Etat peuvent faire l'objet de critiques et d'observations, ils n'en constituent pas moins un instrument incontournable, fruit d'une très longue accumulation d'expériences et de l'épreuve des faits de nos experts économistes du ministère du Plan. C'est ainsi que les chiffrages annoncés ici et là par le gouvernement sur les volumes d'investissement nécessaires pour infléchir le modèle économique tunisien vers le sens voulu par la révolution ne peuvent avoir été élaborés qu'au moyen de ce type d'instrument. Nos partenaires financiers internationaux posent également les questions de la pertinence à propos des différents chiffrages présentés par les partis, qui ambitionnent d'être au pouvoir après les élections du 23 octobre. Pour notre crédibilité nationale et pour la sauvegarde des intérêts de notre pays, on aurait pu imaginer une démarche qui va au-delà de toutes les parties et qui met autour d'une même table gouvernement, partis, syndicats et patronat, dans le but d'élaborer une position commune concernant un Programme économique de transition (Pétra), qui puisse permettre de pouvoir ‘faire la révolution en marchant' et de ne pas tout suspendre aux aléas de la délicate construction institutionnelle et démocratique, parce que sur ce plan, il va y avoir quelques aléas.